13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

164

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

médiation, le contact avec la société arabe ou, plus exactement, avec les

différentes communautés arabes. C’est avec l’appui des Britanniques

que s’organise à Jérusalem, dès novembre 1918, la première

association islamo-chrétienne, destinée à leurs yeux à constituer le

pendant de la commission sioniste, mais qui entérine de fait une vision

communautariste de la société tout en consacrant le rôle politique des

notables. Jusqu’en 1933 au moins, les notabilités arabes seront à la fois

les dirigeants d’un mouvement national palestinien en formation et les

interlocuteurs autorisés des Britanniques et il faudra attendre 1936, la

grève, puis la révolte rurale, pour qu’intervienne une rupture décisive

entre les Britanniques et les élites arabes [Porath, 1977].

En matière religieuse, plus encore qu’en matière sociale, c’est la

préservation du statu quo qui dicte la politique britannique dans une

Palestine pensée alors comme la Terre sainte des trois monothéismes.

Dans sa proclamation aux habitants de Jérusalem, le 11 décembre

1917, le général Allenby ne manque pas de promettre « de respecter les

intérêts de toutes les religions dans la ville sainte » [Wasserstein, 1991,

p. 2]. L’article 14 de la charte du mandat prévoit la mise en place d’une

commission pour « étudier, définir et régler tous les droits et réclamations

concernant les Lieux saints ainsi que les différentes communautés

religieuses en Palestine » [Laurens, 2002, p. 28]. Or la commission n’a

jamais vu le jour en dépit de négociations entre les puissances : en

réalité, la France, qui avait officiellement perdu à San Remo son

protectorat sur les catholiques, entendait s’assurer au moins la

présidence de la sous-commission chargée des Lieux saints chrétiens ;

le Vatican plaidait pour une commission permanente des Lieux saints ;

les Britanniques, quant à eux, n’entendaient pas tolérer une quelconque

forme d’ingérence dans l’administration du mandat. Ils furent de fait

les seuls responsables de la préservation du statu quo ante.

C’est à ce titre qu’ils se trouvent confrontés, en 1928, à la délicate

affaire du Mur des Lamentations (Burâq pour les musulmans), qui sera

à l’origine des émeutes antijuives de 1929. À diverses reprises, au

cours des années précédentes, en 1922, 1923 et 1925, les autorités

religieuses musulmanes ont protesté auprès de l’administration

britannique contre les atteintes au statu quo imputables aux fidèles juifs

qui tentaient de laisser près du Mur, de manière permanente, du

matériel cultuel. Selon le statu quo qui prévaut depuis la période

ottomane, et en l’absence de commission des Lieux saints, le Mur, tout

comme le quartier des Maghrébins qui s’étend à ses pieds, appartient

aux musulmans qui doivent en permettre le libre accès aux fidèles juifs 5 .

5. Il convient de préciser que les musulmans sont alarmés par les diverses tentatives

faites par des juifs ou par des organismes sionistes pour acheter le Mur et la zone qui

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!