13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

LES RÉFORMES DE L’UNIVERSITÉ D’AL-AZHAR 545

« pétris de dévotions soufies », alliés aux « féodaux », ils auraient ainsi

recours au « charlatanisme » pour tromper la populace.

Ce double fondement de la politique nassérienne vis-à-vis d’al-

Azhar (justification de la réforme par l’union du religieux et du séculier

et par une description négative des oulémas) donne aux réformes d’al-

Azhar mises en application après la révolution un caractère profondément

ambigu. Le régime des Officiers libres développe dans ses médias

une critique caustique des oulémas, les présentant comme des Tartuffes

ignorants, irrationnels et corrompus. S’il est devenu nécessaire de leur

imposer la réforme d’al-Azhar de manière autoritaire, dit-on, c’est

qu’ils n’en ont jamais voulu. Mais, dans le même temps, al-Azhar

devient le modèle de l’école et de l’université universelles pour les

musulmans, où les savoirs religieux et séculier ne seront pas

différenciés 2 .

Ainsi, le régime nassérien a institutionnalisé une véritable politique

musulmane, légitimée par la réforme d’al-Azhar, qu’il utilise pour

promouvoir ses propres conceptions de l’islam, un islam public, dans

un contexte politique autoritaire. Les conséquences de cette entreprise

de « colonisation de l’islam » par le régime nationaliste [Malik, 1996]

sont multiples, mais s’il faut en retenir une, c’est bien la transformation

d’al-Azhar en institution religieuse d’État où s’opère une fusion du

religieux et du politique [Zeghal, 1999b]. Al-Azhar est transformée en

tribune religieuse officielle, ce qui lui donnera, dans le dernier quart du

XX e siècle, l’espace et les ressources nécessaires pour revenir au cœur

de l’arène politique. À partir des années 1970, en effet, dans un paysage

religieux en voie de diversification croissante, al-Azhar occupe une

place de plus en plus importante, prouvant que la marginalisation des

élites religieuses n’était probablement qu’une parenthèse historique,

alors que les oulémas prouvent aujourd’hui leur aptitude à participer

pleinement à l’élaboration d’une modernité religieuse.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BERQUE J. (1967), L’Égypte. Impérialisme et révolution, Gallimard, Paris.

CASANOVA J. (1994), Public Religions in the Modern World, Chicago, University

of Chicago Press, Chicago.

COSTET-TARDIEU F. (2002), « Un projet de réforme pour l’Université d’al-Azhar

en 1928 » in DUPONT A.-L. et MAYEUR-JAOUEN C., « Débats intellectuels au

Moyen-Orient dans l’entre-deux-guerres », Revue des Mondes Musulmans et

de la Méditerranée, 95-96-97-98, p. 169-188.

2. Dans les faits, cette réunion des savoirs de types religieux et séculier ne sera jamais

véritablement réussie [Zeghal, 1999a].

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!