13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

188

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

1866, sur une population totale de 2 650 000 musulmans et de 226 000

Européens » [Winock, 2004, p. 68-69]. Ces mutations ne se firent pas

sans heurts. Alors que les Juifs de France les regardaient avec condescendance,

les Juifs d’Algérie acceptaient fort mal leur emprise. Et plus

d’un rabbin formé en France a dû abandonner son poste, las du rejet des

fidèles et de leurs préférences pour les rabbins locaux. Les conflits

furent fréquents et la population manifestait peu de sympathie pour ces

Juifs qui leur semblaient si peu juifs et qui se permettaient de leur

donner des leçons. Pour les Juifs d’Algérie, la France, entité abstraite

et idéalisée, les avait libérés et ils l’aimaient. Leurs rapports avec leurs

coreligionnaires de France qui s’étaient donnés pour mission de les

« civiliser » furent, eux, plus ambivalents 13 .

Le processus vers la citoyenneté pleine et entière s’accélère après la

visite de Napoléon III en Algérie en 1860. Le senatus-consulte de 1865

ouvre la possibilité d’acquérir la nationalité française à tous les

indigènes, musulmans et Juifs. « Sujets » français, les uns et les autres

restent exclus de l’exercice des droits civils et politiques réservés aux

citoyens. Sans leur accorder collectivement la citoyenneté française, la

loi permet de la solliciter individuellement, mais à condition de

renoncer à son statut personnel. Concrètement, le maintien et la reconnaissance

du statut personnel (mariages, divorces, polygamie, lévirat,

héritages) portaient de fait la reconnaissance juridique d’une

communauté et d’individus définis juridiquement et politiquement par

leur appartenance religieuse, dans un système juridique français qui

n’entend connaître en principe que l’individualisme républicain : cette

politique était une façon d’exclure de la citoyenneté 14 . Le statut

personnel était un marqueur de la différence entre les colonisateurs,

citoyens, et les colonisés, en l’occurrence les Juifs, sujets d’une

communauté religieuse. Et la situation coloniale faisait émerger à

nouveau cette notion ambiguë de « communauté juive », que les révolutionnaires

avaient abolie.

La loi n’eût guère de succès : seuls 144 Juifs acquirent alors la

citoyenneté française entre 1865 et 1870. De fait, la procédure est

longue et compliquée pour cette population qui, dans son ensemble,

malgré l’amélioration notable de ses conditions de vie, est loin d’être

encore alphabétisée en français. En outre, comme le souligne Michel

Abitbol, « contrairement à leurs coreligionnaires de France qui

n’avaient pu bénéficier de la liberté de culte qu’après leur émancipation,

eux-mêmes en avaient toujours joui », et la nouvelle loi allait

13. Cf. [Schwarzfuchs, 1981], et témoignages dans notre ouvrage.

14. Citoyenneté dont seront de facto exclus les musulmans que l’on ne reconnaîtra

qu’à travers leur statut religieux.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!