13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

284

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

PRÉMICES RELIGIEUSES DE LA CONQUÊTE COLONIALE

La France ne s’appuie pas sur les missionnaires catholiques, mais

sur des agents musulmans, contrairement à sa politique dans d’autres

colonies. Elle a des contacts séculaires, liés à la traite des esclaves, avec

des commerçants musulmans du Sénégal et elle a connaissance des

confréries. Les autorités coloniales vont renforcer ou établir le pouvoir

de celles-ci ainsi que celui de personnalités musulmanes, qualifiées de

façon indifférenciée de marabouts. Les réseaux confrériques

deviennent les relais du régime colonial au Sénégal et en Mauritanie et,

en retour, les notables alliés et leurs proches bénéficient du soutien de

l’administration. L’adhésion n’est bien entendu pas totale [Robinson et

Triaud, 1997, Robinson, 2000, trad. 2004].

Des autorités musulmanes usent du réformisme religieux pour

mener la résistance politique. Ainsi, l’empereur al-Hajj Umar Tal

(1797-1864), auquel est confronté le premier gouverneur du Sénégal,

Léon Faidherbe, dès les années 1850, met en garde les musulmans

sénégalais contre l’association (muwalat) avec les Français. Il engage

également ses partisans à s’opposer à l’intrusion française par l’émigration

(hijra) vers l’est. Par ailleurs, à cette époque, il parcourt toute

l’Afrique de l’Ouest pour éradiquer la coexistence religieuse qu’il juge

intolérable. Il impose l’ordre musulman de la Tijâniyya et le rend

incompatible avec d’autres affiliations. Sur cette base, il mobilise des

combattants musulmans pour le djihad, aussi bien contre l’État

bambara de Ségou, majoritairement non-musulman, que contre l’État

musulman du Macina qui soutient son voisin bambara. Il ne fait pas

l’unanimité parmi les musulmans et certains n’hésitent pas à affirmer

qu’il est plus préoccupé de pouvoir que de théologie ou de réformisme

[Robinson, 1985, trad. 1988, Yattara, Salvaing, 2003].

Eugène Mage, envoyé dans le sillage d’al-Hajj Umar par le

gouverneur Léon Faidherbe en quête de traités commerciaux, nous a

laissé le récit de son voyage au Soudan où pointe l’ambiguïté des élites

françaises à l’égard de l’islam [Mage, 1868, 1980]. Cette religion est à

la fois considérée comme une étape vers la civilisation pour les Noirs

et, en même temps, comme contraire à l’influence européenne. Sa

mention, dans les archives coloniales, révèle à la fois les préjugés de

l’époque et le pragmatisme des colonisateurs. L’islam est envisagé

comme marque de civilisation en cas de collaboration entre Français et

musulmans, mais toute résistance sera, au contraire, le signe de la

barbarie imputée à cette religion.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!