13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

174

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

La participation arabe à l’administration du mandat apparaît de

surcroît comme une nouvelle version bureaucratisée de la vieille

politique des notables, toujours préférée à la politique des partis. Il

s’agit moins en réalité d’associer les élites arabes au pouvoir que de

mener une politique de patronage destinée à garder le contact avec la

société arabe en l’absence d’institutions représentatives. Les fonctionnaires

arabes semblent, du reste, avoir intégré ce rôle si l’on en croit par

exemple la pétition qui circule en 1936 sur l’initiative de Mûsa al-

Alamî, avocat du gouvernement britannique, dans laquelle les

signataires se reconnaissent précisément la mission d’assurer ce lien

entre le gouvernement et la population arabe [Laurens, 2002, p. 313].

Mais en période de crise, les fonctionnaires des deux camps sont le plus

souvent conduits à faire prévaloir la loyauté à leur communauté sur

l’allégeance au gouvernement central, au risque de mettre ainsi en péril

l’unité politique du pays.

DES OBLIGATIONS INCOMPATIBLES ?

C’est le rapport de la commission royale d’enquête présidée par

Lord Peel en 1937 qui, le premier, fait voler en éclats le thème de la

double obligation du mandataire, élément central du discours officiel

britannique, en soulignant le caractère structurellement irréconciliable

des deux obligations. Selon les termes mêmes du rapport, ce caractère

irréconciliable tient d’une part à la nature de la domination coloniale

britannique, qui rend impossible toute véritable allégeance de la

population à l’État, et d’autre part aux antagonismes communautaires

qui ne permettent pas de créer un gouvernement représentatif.

Cette incompatibilité a maintes fois été soulignée dans l’historiographie

de la Palestine mandataire, qu’il s’agisse d’une historiographie

favorable aux thèses sionistes qui dénonce les politiques d’apaisement

menées à l’égard des Arabes et crie à la trahison des promesses faites

aux Juifs, ou à l’inverse d’une historiographie plutôt favorable aux

positions des Arabes palestiniens qui s’attache à démontrer la collusion

structurelle entre intérêts britanniques et intérêts sionistes.

L’historiographie la plus soucieuse d’offrir une version équilibrée des

enjeux reconnaît quant à elle la difficulté constante des Britanniques à

hiérarchiser les deux obligations 14 . Mais si l’on ne se contente pas de

noter le caractère irréconciliable des deux obligations du mandataire et

que l’on cherche à l’expliquer, il convient de prendre en compte le

14. Sur les différents courants historiographiques, voir notamment [Sheffer 1988, p.

108-109].

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!