13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

LE « PANISLAMISME » EXISTAIT-IL ? 499

pour autant irresponsable rebut de l’humanité. Tout le monde sait bien

que les musulmans, et en particulier les mollahs des XVIII e et XIX e

siècles, ne se sont soumis qu’à la force brute, et à contrecœur, en

gardant toujours au fond de l’âme une haine organique et secrète pour

tout ce qui est non-musulman. Et voici que les novateurs se mettent en

tête d’atténuer cette altérité hostile… Dans les madrasas anciennes, cet

esprit d’insularité était si fort que les Tatars finissaient par penser que

l’unique source de lumière était les vérités apprises dans leurs “kitabslivres”.

Un exemple particulièrement typique et frappant en est l’exclamation

sincère d’un certain chakird (étudiant) : “Comment, même en

russe deux et deux font quatre ??? ”… Tout aussi significatif est que les

vieux “barbons” musulmans restés imperméables à l’influence

“délétère”, selon le Journal (de la Commission), des novateurs, croient

sincèrement que “kitabat” ne désigne que le livre musulman (sic), alors

qu’un livre à l’alphabet européen n’est qu’un “livre”. Il n’en reste pas

moins que leur usage même est bien, d’une certaine façon, un signe de

fusion [culturelle] (slijanie)» [ibid., l. 28 recto – 29, 30 recto] 32 .

UNE LUTTE ENTRE DEUX NATIONALISMES ?

Comment expliquer que les fonctionnaires n’aient pas entendu et,

semble-t-il, n’aient pas pu entendre ce type d’arguments ? Le credo

djadidiste ne concordait-il pas, presque mot pour mot, avec leur propre

objectif, la « communion » des musulmans avec la culture russe ?

Bizarrement, le pouvoir russe semblait faire davantage confiance aux

traditionalistes musulmans, une confiance tout de même bien

limitée 33 . Par ailleurs, comme on l’a déjà noté à propos du discours de

S. Maksudi, les fonctionnaires n’avaient pas complètement tort de

déceler, dans ce type de discours, un certain « nationalisme

musulman ». Et, par la même occasion, de soupçonner que, dans la

bouche des djadids, la « communion avec la culture russe » signifiait

tout autre chose que ce qu’ils auraient aimé entendre ou que, plus

simplement, elle était une tromperie : une telle « communion » s’harmonisait

bien mal avec l’opposition catégorique des leaders

musulmans à toute idée de russification. Plus encore, de pareils propos

de la part des musulmans pouvaient laisser entrevoir une aspiration à

32. Selon des travaux récents, cette manière djadidiste d’envisager le conflit avec les

« traditionalistes » (« qadimistes ») est tardive [Frank, 2001, p. 218-223 ; Dudoignon, 1997].

33. On peut malgré tout relever parmi les Russes intéressés quelques interventions en

faveur du mouvement djadid [Geracy, 2001, p. 273-276], mais plus rarement dans le

milieu des fonctionnaires ordinaires.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!