13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

ISLAM ET CITOYENNETÉ EN ALGÉRIE 199

vaincus, y compris au sein de la petite minorité juive qui se retrouve

coincée entre les deux. Ceci, alors que, en même temps, le processus de

sécularisation est à l’œuvre dans l’ensemble de la société coloniale et

n’épargne aucun des univers religieux en présence.

C’est évidemment surtout en milieu urbain que la société

musulmane traditionnelle a été confrontée aux comportements et aux

pratiques des étrangers résidant à différents titres dans le pays. Une

population d’origine européenne, qui était arrivée par vagues

successives et à différentes époques, devient, avec l’avènement de la

III e République, de plus en plus nombreuse grâce aux facilités qui lui

sont faites pour s’établir dans les centres de colonisations et dans les

villes. Après la fin du régime militaire, de nouveaux colons sont

encouragés à tenter l’aventure algérienne. Encadrés par des institutions

républicaines qui arborent le drapeau tricolore, ils se sentent chez eux

sur le sol algérien, que la loi définit comme « territoire français ». La

colonisation triomphante semble là à son apothéose.

Or, cette catégorie de « Français d’Algérie » recouvre un univers

extrêmement varié d’éléments d’origine européenne. Les Français de

souche ne sont parmi eux qu’un petit groupe, descendants d’insoumis

et de proscrits que la « Mère patrie » a obligé à s’expatrier, et qui sont

arrivés en Algérie à chaque changement de régime en métropole.

Italiens, Espagnols et Maltais, poussés vers le sol algérien par la

pauvreté endémique de leurs régions d’origine, sont venus les rejoindre

par vagues successives. La plupart se feront naturaliser 2 et ceux qui

auraient préféré garder leur nationalité d’origine subiront les effets de

la loi du 24 juin 1889 sur la naturalisation des étrangers 3 . La naturalisation

n’a pas pour autant effacé chez eux les traditions et les croyances

des terroirs d’origine. On aurait pu s’attendre à ce que, chez les colons,

y compris ceux de la première heure, en provenance de pays où la sécularisation

était en cours, la sphère religieuse soit, sinon absente, comme

c’était le cas chez certains républicains laïcs intransigeants de 1848 ou

de 1870, ou qu’elle soit largement réduite à un christianisme ou à un

judaïsme limités à la sphère privée. Or, il n’en est rien. On découvre,

au contraire, que ces Européens vivant en terre d’islam, même

lorsqu’ils se proclament athées, ne sont pas prêts à renoncer à une

2. Avant la loi républicaine qui a naturalisé automatiquement les fils d’étrangers nés

en Algérie, la politique à l’égard des étrangers avait été fluctuante, voire contradictoire,

entre la volonté d’empêcher qu’ils fassent concurrence aux Français et le désir de renforcer

les assises de la colonisation [Verdès-Leroux, 2001, p. 204-205].

3. Avec la loi du 24 juin 1889 sur la naturalisation des étrangers, ils devinrent français

en deux générations, car leurs enfants nés en Algérie obtinrent automatiquement la

citoyenneté française.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!