13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

218

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

L’islam a connu une double trajectoire : tandis que la sécularisation

a abouti à ce que la foi soit de plus en plus vécue intérieurement par

chaque individu, s’affirmait de façon croissante dans l’espace public un

islam identitaire et communautaire, devenu une idéologie politique

moderne et globalisante, apte à engager une résistance à la fois

politique et culturelle contre le colonisateur. En revanche, les juifs, en

tant que communauté religieuse, entreprirent sans regret l’aventure de

la francisation, et se retrouvèrent par la force des choses et malgré eux

dans le camp du colonisateur 42 .

L’islam est ainsi devenu le terrain privilégié de la confrontation : le

fait même que, sur le plan du vocabulaire, on opposât « musulmans » à

« français », comme s’ils étaient des antonymes relevant d’un même

registre, est d’ailleurs édifiant à cet égard. Que revêtait cette notion de

« France » pour les musulmans algériens ? Sans doute un système de

valeurs qui voulait s’imposer, qui avait pour lui la force et la réussite

économique, à défaut de la légitimité historique ; un système qui, à un

moment donné, a pu séduire certaines élites urbaines, de telle sorte

qu’en 1930, l’année du Centenaire du débarquement de l’Armée

d’Afrique en Algérie, un pharmacien de Sétif, du nom de Ferhat Abbas,

président fondateur de la Fédération des Élus Musulmans d’Algérie,

élu lui-même au conseil général de la préfecture de Constantine,

pouvait affirmer : « L’Algérie est la France ; la patrie algérienne

n’existe pas ; j’ai interrogé les vivants et les morts, je ne l’ai pas

trouvée… » D’autres, au contraire, face aux mêmes manifestations de

la puissance coloniale française, alors à son apogée, lui rétorquaient,

sous la plume du Cheikh Ben Badis : « L’Algérie n’est pas la France, ne

peut pas être la France, ne veut pas être la France… » [Julien, 1972].

C’est donc avant tout sur le plan civilisationnel que se jouait le drame

franco-algérien, avec plus ou moins d’antagonisme selon les époques,

et avec des réponses plus dures et moins nuancées au fur et à mesure

qu’on s’éloignait des milieux urbains cultivés. Cette France du

Centenaire, qui n’était plus chrétienne, sans être tout à fait laïque, en

tout cas aux yeux des Algériens, se présentait comme un système de

valeurs sans faille, quasiment inattaquable.

Or, la démarche propre à l’islam consiste notamment à percevoir la

dimension religieuse des événements d’ici-bas : même si leur portée

politique n’est pas niée, elle est soumise à une vision religieuse du

monde. D’autre part, la notion d’altérité dans la tradition islamique

n’existe qu’à l’échelle religieuse, le monde se partageant entre ceux qui

ont accepté le Message du Prophète Muhammad et ceux qui l’ont

42. De ce fait, il n’y eut pas de place pour eux dans le projet de l’État national

indépendant, à quelques rares exceptions près. Cela a été le drame des juifs algériens.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!