13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

380

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

risation souhaités par certaines élites sociales et politiques, comme par

de nombreux agents français du mandat. L’histoire et la religion, le

droit international, sont instrumentalisés par les chefs religieux pour

obtenir la prééminence du champ religieux sur le champ civil.

Confrontées au modèle européen de l’État-nation moderne, sous

domination étrangère, qui aurait exigé normalement leur affaiblissement,

voire leur disparition, les communautés saisissent l’occasion

historique de leur sortie de l’Empire ottoman pour occuper le champ

public. En concurrence dans cet espace, mais aussi dans leur relation

avec la puissance mandataire, chacune d’entre elles cherche à s’assurer

le meilleur accès au pouvoir politique. Les libertés individuelles, telle

la liberté de conscience, pourraient provoquer leur affaiblissement ou

leur éclatement : c’est pourquoi tous les chefs religieux se sont

employés à réduire, voire à annihiler, les droits des individus

(conversions, mariages, héritage — avec le refus systématique,

notamment, d’une égalité entre les héritiers féminin et masculin).

La puissance mandataire s’était donnée comme principe, en ce qui

concerne les juridictions religieuses et le statut personnel, de garantir

les droits des individus et des communautés, gérés dans un nouveau

cadre national, et d’« assurer l’égalité de traitement entre les habitants

de la Syrie et du Liban », comme l’écrivait Philippe Gennardi en 1934.

Mais, devant les résistances des chefs religieux et des sunnites, relayées

par les nationalistes en Syrie, elle est demeurée en retrait par rapport à

ces principes. Si ceux-ci n’ont pas ou ont été mal appliqués, c’est bien

à cause de leur nature contradictoire et parce que les acteurs locaux ont

été traités différemment par la puissance mandataire. La sécularisation

du droit personnel a buté sur l’exigence de protection des minorités

(certaines minorités étant mieux protégées que d’autres) et, dès lors,

elle n’a plus constitué une priorité pour la puissance mandataire.

Le mandat français n’a donc pas pu abolir le régime communautaire

de Syrie et du Liban, « sauf, peut-être, en réduisant quelque peu les

domaines réservés aux lois et règlements communautaires », alors que,

plus généralement, c’est dans le domaine du droit privé que l’œuvre du

mandat est considérée par les juristes comme étant la plus « bénéfique

et moderniste » [Takla, 2004, p. 100]. Articulée autour de la question

minoritaire, la politique mandataire semble bien avoir favorisé non

seulement la confessionnalisation du système politique moderne, mais

aussi de la vie sociale, au Liban et, dans une moindre mesure, en Syrie.

La question des juridictions religieuses et du statut personnel montre

combien les évolutions de l’époque mandataire ont contribué à

superposer de façon croissante le champ religieux et le champ politique

dans les deux pays, et plus particulièrement au Liban.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!