13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

RÉFORMISME MUSULMAN ET ISLAM POLITIQUE 521

faut contraindre leurs sentiments, tuer leur âme » ; sous l’influence du

despotisme, la umma voit « son penchant naturel à chercher les

sommets se convertir en recherche des bas-fonds au point que, si on la

pousse à s’élever, elle s’y refuse » [ibid., p. 59-60, 80 et 90-91]. À

partir de cette analyse, al-Kawâkibi examine la question de la liberté

politique et montre l’importance qu’il y a à réformer le régime

politique. Il incite les musulmans à adopter le modèle des gouvernements

constitutionnels, fondés sur la séparation des pouvoirs et garantissant

l’autonomie personnelle. Le plus utile des progrès accomplis par

le genre humain n’est-il pas « d’avoir maîtrisé les principes du gouvernement

constitutionnel et dressé, face au despotisme, un barrage

inébranlable ; alors, les hommes ont placé la loi au-dessus de la force,

nulle autorité ne prévalant sur la sienne », de telle sorte que « le sultan

et le vagabond soient égaux devant des tribunaux, qui, par leur équité,

s’apparentent au tribunal suprême de Dieu » [ibid., p. 108-112].

Al-Kawâkibi lie étroitement réforme politique et réforme religieuse.

Il dénonce les relations entre les hommes au pouvoir et ceux qu’il

nomme « les escrocs et les ignorants enturbannés ». Ces derniers sont

hostiles à toute participation populaire, à toute réforme politique

constitutionnelle ; ils persuadent les princes « qu’ils doivent s’en tenir à

leur opinion personnelle, fût-elle néfaste ; refuser le principe de la

chûrâ, la consultation, même s’il fait partie de la sunna ; maintenir le

statu quo, si mauvais soit-il. Si la nation participe à la gestion des

affaires et si on lui donne la liberté de critiquer, cela met en cause

l’autorité des princes et nuit à leur politique illégitime. » Al-Kawâkibi

s’en prend ensuite aux gouvernants musulmans qui, forts des

arguments spécieux fournis par les ulémas, se dérobent à l’accomplissement

des réformes constitutionnelles nécessaires ; « ils trouvent dans

ces arguments les armes qui leur permettent, croient-ils, d’affronter les

États étrangers hostiles à leur politique : les règles de la religion

musulmane, peuvent-ils dire, sont incompatibles avec le principe de la

consultation (chûrâ) et sont contraires aux principes d’ordre et de

promotion civique ; de plus, ils se sentent obligés de veiller à la religion

de leurs sujets en suivant le courant de l’opinion publique » [Al-

Kawâkibi, 1931b, p. 42]. Pour éradiquer l’ignorance, en particulier

l’ignorance dans la religion, puisqu’elle perpétue cet état de fait, le

Cheikh al-Kawâkibi lance l’idée d’une réforme à réaliser dans toutes

les religions et tous les dogmes dominants en Orient. On a besoin, ditil,

d’ulémas pleins de sagesse, capables de mener à bien cette tâche

« sans se soucier du tapage des ulémas ignares et stupides et des chefs

cruels et ignorants. Ils renouvelleront l’interprétation de la religion,

redonnant vie à ce qu’on a oublié, rejetant ce qu’on a ajouté, comme on

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!