13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

386

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

premières années, mirent en avant des préoccupations similaires, sans

toujours y voir un danger pour leur part. Par exemple, lors d’un

discours prononcé en 1904 devant l’assemblée générale de la MLF, soit

deux ans après la réunion constitutive de la Mission, Lucien Hubert, un

des premiers membres de la MLF, fait référence à la MLF comme un

puissant vecteur de « colonisation intellectuelle » à l’étranger, sans

apparemment s’en offusquer quant à son principe. Bien au contraire,

c’est le langage de l’époque, qui dévoile sans ambiguïté les objectifs de

la politique de la Mission [Hubert, 1905].

Concevoir la création d’un réseau d’écoles laïques d’outre-mer est

une chose ; le réaliser en est une autre. Au départ, le projet de

Deschamps ne suscite, il faut le souligner, que peu d’enthousiasme de

la part des responsables français à Madagascar, à commencer par le

général Gallieni, gouverneur de l’île, qui n’y croit guère lorsque

Deschamps lui en parle. Parmi les objections que soulève Gallieni à

l’égard du projet : d’où viendront les missionnaires pour enseigner dans

les écoles de la future Mission ?

La réponse sera trouvée, pendant une dizaine d’années, dans l’École

normale d’enseignement colonial Jules Ferry, qui ouvrira ses portes à

Paris en octobre 1902, quelques mois après l’inauguration constitutive

de la Mission laïque française en juin de la même année. Cette école

formera environ 150 maîtres-instituteurs, hommes et femmes, qui

alimenteront le corps enseignant dans les écoles de la MLF, dont la

première verra le jour en 1906 dans la ville ottomane de Salonique,

ainsi que dans des écoles publiques dans les territoires sous contrôle

français. Le cursus de l’école Jules Ferry, prévu sur dix mois, est

destiné aux personnes déjà formées en tant qu’instituteurs. Les enseignements

de l’école ont la vocation de rajouter aux connaissances déjà

acquises par ailleurs, le savoir culturel et pratique des régions où ces

enseignants sont affectés, les préparant ainsi, selon la formule, à

« fonctionner dans une culture étrangère ». Les résultats sont, dans

l’ensemble, considérés positifs : les élèves des cours Jules Ferry partent

à l’étranger, prennent leurs fonctions et sont appréciés par la hiérarchie

[Thévenin, 2002, p. 40-43]. Or, l’école Jules Ferry, établissement privé

vivant sur un budget précaire, aura une vie assez courte en raison

justement des problèmes financiers. L’école fermera définitivement ses

portes en 1914, faute de subventions, mais aussi à cause du refus de

l’État — c’est le début de la Première Guerre mondiale — d’accorder

des exemptions de service militaire aux étudiants potentiels comme aux

enseignants de l’école.

Mais, revenons à Pierre Deschamps. Une fois rentré de Madagascar,

en 1901, alors âgé de 29 ans, il commence à faire la tournée des

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!