13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

534

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

est certain que le choc de l’intervention européenne eut pour conséquences

des débats internes. Mais faut-il attribuer les changements de

fond de la société égyptienne, à partir du XIX e siècle, à cette variable

exogène ? Quel poids lui attribuer ? Ces questions mêmes peuvent-elles

être résolues et ont-elles une légitimité autre que celle d’être le reflet de

notre regard — lié aux questions et aux positionnements géographiques

et politiques de notre temps — sur l’histoire ? Il n’est pas question de

répondre ici à ces questions, qui sont l’objet de controverses pour les

historiens et les sociologues, mais de montrer la complexité des facteurs

à l’œuvre dans ces processus de changement à travers l’histoire récente

d’une institution religieuse qui occupe une place centrale dans

l’économie religieuse de l’Égypte : al-Azhar.

Le regard des observateurs sur l’histoire récente de l’islam est en

effet lié à la question de la sécularisation, elle-même rapportée à une

comparaison explicite ou implicite au modèle occidental. Pour les

sociologues de la modernisation, l’histoire des sociétés arabes se lisait,

encore il y a peu, jusqu’aux années 1970, de manière linéaire :

l’émergence d’un système modernisé (occidentalisé) d’éducation, et la

modernisation des États et des technologies devaient mener à une

convergence des sociétés musulmanes avec les sociétés occidentales.

En particulier, un processus de sécularisation était à prévoir et même

déjà observable. Ce processus de sécularisation était défini implicitement

comme un affaissement des pratiques religieuses et un rétrécissement

de la sphère religieuse représentée par les institutions islamiques

traditionnelles au profit des institutions productrices d’élites, de savoir

et de technologie « modernes ». Lorsque Jacques Berque publiait en

1967 Égypte, Impérialisme et Révolution, il soulignait le délabrement

des études et de la vie intellectuelle à al-Azhar, dans « un tel état

d’usure, que l’expression même lui fait défaut. Prise entre l’amplification

verbeuse et le laconisme hermétique des Abrégés, l’Azhari est un

homme qui se ferme. Du reste, qu’aurait-il à dire ? Son raisonnement

est aussi vétuste que son propos. […] Quant aux réformes, on en parle

souvent, et bien. Mais une opposition furieuse fait ajourner celles que

propose le cheikh Abdouh » [Berque, 1967, p. 104-105]. La

description qu’offrait alors Jacques Berque évacuait l’importance des

institutions religieuses, mais aussi de l’islam politique. Les Frères

Musulmans, association islamiste fondée par Hassan al-Banna en 1928,

qui alliaient islamisme et nationalisme pour fonder leur idéal de société

et de l’État sur l’islam, ne méritaient mention de la part de Jacques

Berque que dans une courte note de bas de page. Dix ans plus tard, le

développement de l’islamisme sur la scène politique permettait de

remettre en question, dans les années 1980, l’idée d’une marginalisa-

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!