13.02.2024 Views

Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.

" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.


SHOW MORE
SHOW LESS
  • No tags were found...

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

42

LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM

La nouvelle idéologie coloniale se construit progressivement dans

les écrits des philosophes. Le projet révolutionnaire de régénération de

l’humanité prend ainsi le nouveau nom, dans les années 1790, de civilisation

des peuples orientaux. D’emblée, Bonaparte lui donne sa forme

la plus pure lors de l’expédition d’Égypte de 1798-1801. Elle est la

première à se mettre sous le drapeau de la civilisation. Lancée par une

France déchristianisée, elle rejette toute référence chrétienne et son

chef va jusqu’à se prétendre l’ami des musulmans voire même leur

Mahdi.

Pour la masse de la population égyptienne, cette propagande échoue

totalement. Ils ne voient dans les soldats de la Révolution que des

chrétiens ennemis de l’Islam. Seuls, les savants religieux comprennent

la nature de la rupture, mais pour immédiatement assimiler les

conquérants à l’athéisme médiéval des zindiq, combattus aux siècles

des califes. Pour reprendre l’Égypte, les Ottomans s’allient à la

Grande-Bretagne et à la Russie et prônent un front uni des religions

révélées contre l’athéisme de la Révolution française.

Un discours d’alliance islamo-chrétienne se constitue donc

brièvement durant les guerres de la seconde coalition. Le retour de la

France à la catholicité, dans le cadre du Concordat, rétablit la normalité

européenne et met fin à ce qui paraît maintenant avoir été une excentricité,

la proclamation d’un déisme révolutionnaire se posant comme

l’ami de l’Islam. En revanche, la référence à la civilisation devient un

élément essentiel du discours napoléonien, pour qui l’Empire français

ouvre le « siècle de la civilisation, des sciences, des Lumières et des

lois ». La conquête du Royaume de Naples, de l’Espagne a pour but d’y

porter la civilisation. La lutte contre la Russie est une défense de la

civilisation contre la Barbarie. Les adversaires de Napoléon retournent

contre lui cette arme, faisant du tyran l’ennemi de la civilisation de

l’Europe. La guerre des propagandes généralise la référence à la civilisation,

qui devient d’un usage courant pour exprimer l’ampleur des

transformations en cours que les contemporains ont du mal à saisir.

La suite des guerres napoléoniennes constitue un temps de répit

pour l’Empire ottoman qui sait être du bon côté lors des différentes

coalitions engagées contre la France. En 1815, la constitution de la

Sainte Alliance n’intègre pas l’Empire ottoman, mais lui reconnaît son

droit à l’existence au nom du principe de légitimité, destiné à faire face

au principe des nationalités destructeur de l’ordre européen restauré.

La France de la Restauration se place alors délibérément dans la

continuité de Bonaparte en reconnaissant à l’Égypte de Muhammad Ali

la poursuite du projet civilisateur engagé en 1798. Cet appui est essentiellement

diplomatique, même si l’on encourage l’envoi de missions

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!