Le choc colonial et l'islam Les politiques religieuses des puissances coloniales en terre de l'islam
" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.
" La laïcité est l'arme des nouveaux croisés " proclame aujourd'hui un slogan islamiste. Au-delà de ce jugement abrupt, on doit constater en tout cas que le rapport entre les héritages de la domination coloniale et l'importation de conceptions laïques et/ou sécularisées dans les pays musulmans est aujourd'hui au cœur des problématiques qui fondent les questionnements sur l'islam. Le contexte colonial a en effet manifesté partout les limites d'universalismes européens qui, pour la plupart, puisaient aux sources des Lumières. À l'épreuve de la colonisation, les idéaux émancipateurs sont souvent devenus la légitimation d'entreprises de domination, quand ils n'ont pas été purement et simplement retournés. La non-application de la loi de 1905 aux musulmans de l'Algérie française, le confessionnalisme politique au Liban, le projet sioniste en Palestine, la " question irakienne ", la création du Pakistan sont autant d'exemples qui interrogent ces universalismes. Ce sont ces situations –; et bien d'autres –; que revisitent les auteurs de ce très riche ouvrage collectif. En choisissant de confronter les politiques religieuses des puissances coloniales avec la façon dont elles ont été perçues par les musulmans, ils fournissent les clefs pour comprendre les retours actuels. Une large place est réservée à l'expérience française, mais la problématique est élargie aux autres puissances coloniales européennes : Royaume-Uni et Russie.
- No tags were found...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
94
LE CHOC COLONIAL ET L’ISLAM
Je dis que la politique coloniale de la France, que la politique d’expansion
coloniale, celle qui nous a fait aller, sous l’Empire, à Saïgon, en Cochinchine,
celle qui nous a conduit en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar, je
dis que cette politique d’expansion coloniale s’est inspirée d’une vérité sur
laquelle il faut pourtant appeler un instant votre attention : à savoir qu’une
marine comme la nôtre ne peut se passer, sur la surface des mers, d’abris
solides, de défenses, de centres de ravitaillement […] Messieurs, dans l’Europe
telle qu’elle est faite, dans cette concurrence de tant de rivaux que nous voyons
grandir autour de nous, les uns par les perfectionnements militaires ou
maritimes, les autres par le développement prodigieux d’une population incessamment
croissante ; dans une Europe, ou plutôt dans un univers ainsi fait, la
politique de recueillement ou d’abstention, c’est tout simplement le grand
chemin de la décadence. La France doit répondre à cette influence sur le
monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son génie.
Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à
l’écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège,
comme une aventure toute expansion vers l’Afrique ou vers l’Orient, vivre de
cette sorte, pour une grande nation, croyez-le bien, c’est abdiquer, et, dans un
temps plus court que vous ne pouvez le croire, c’est descendre du premier
rang au troisième et au quatrième [Robiquet, t. VII, p. 8-9].
En 1882, dans sa préface anonyme, déjà, il affirmait:
Un grand pays que sa position géographique, ses intérêts, ses espérances
mêlent nécessairement à tout le mouvement européen, une puissance qui n’est
pas seulement continentale, mais méditerranéenne, ne saurait se renfermer
dans un isolement périlleux, dans une inaction systématique […] La France ne
se résignerait pas de gaieté de cœur à jouer dans le monde le rôle d’une grande
Belgique. Ne se mêler de rien est pour elle aussi mauvais que de se mêler de
tout. L’étranger ne prendra jamais le recueillement de la France pour de l’indifférence,
et la solitude orgueilleuse ou timide qu’elle s’imposerait au milieu
de l’Europe la rendrait aisément suspecte à ses voisins. C’est qu’en réalité rien
de ce qui se passe en Europe ne saurait la laisser froide. Est-ce au règlement
de la question d’Orient, aux conséquences territoriales, aux contrecoups
politiques et moraux des démembrements successifs de l’Empire ottoman que
la France pourrait demeurer sérieusement indifférente, elle qui tient sous son
pouvoir une partie si importante et si remuante du monde musulman?
Maîtresse de plus de cinq cents lieues de côtes dans le bassin de la
Méditerranée, est-ce qu’il ne lui importe pas de savoir en quelles mains
peuvent tomber un jour Constantinople et les détroits ? Lui est-il égal que
l’Égypte, où tant d’intérêts français sont engagés, demeure sous le protectorat
économique et l’action civilisatrice de la France et de l’Angleterre cordialement
unies, ou qu’elle redevienne un foyer d’anarchie barbare et de fanatisme
religieux ? Tout cela était naguère l’A.B.C. de la politique française […] Que
le drapeau français, par exemple, se retire du Tonkin, comme plusieurs le
conseillent, et l’Allemagne ou l’Espagne nous y remplaceront sur l’heure
[Robiquet, t. V, p. 524-525].
S’appuyant sur le modèle anglais de colonisation, l’ancien président
du Conseil veut montrer en 1890 la nature profonde de « ce mouvement