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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LA NOUVELLE À L’ÉPREUVE DU ROMAN MÉDIÉVAL<br />

adventura : ch. 90, f° 61b ; ch. 176, f° 113c ; ch. 335, f° 172d ; ch. 350, f° 182b. Ces<br />

expressions sont peut-être moins vagues qu’elles ne le paraissent si l’on entend<br />

par ces «␣ aventures␣ » <strong>de</strong>s récits «␣ adventices␣ » (autre dérivé d’advenire), qui se greffent<br />

<strong>de</strong> façon accessoire dans le roman. Le roman pourrait donc en faire l’économie<br />

mais, par un curieux retournement, on pourrait dire que l’économie du roman,<br />

par son composite même, en vient à nécessiter ce genre <strong>de</strong> remplissage<br />

narratif. Un cas révélateur est celui <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s trois perroquets : cette aventure<br />

vient à point nommé pour le Chevalier qui, lui, ne trouve pas d’aventures.<br />

Le récit est en effet encadré par ces remarques : «␣ Ainsi alasmes par maintes journées<br />

sanz aventure trouver qui a ramentevoir face␣ » (ch. 323, f° 168d), «␣ par maintes<br />

journées alasmez sanz aventure trouver␣ » (ch. 330, f° 170c). Il est vrai que le <strong>Livre</strong><br />

du Chevalier errant suggère une réorientation <strong>de</strong> l’aventure chevaleresque : l’apprentissage<br />

du héros, que résument les trois gran<strong>de</strong>s étapes <strong>de</strong> son itinéraire, définit<br />

une aventure intérieure plutôt que mondaine. Le Chevalier échoue à maîtriser<br />

le mon<strong>de</strong> mais découvre la sagesse grâce à Connaissance qui lui dévoile la<br />

senefiance <strong>de</strong> ses expériences passées. À défaut d’exploits chevaleresques véritables,<br />

il se forme progressivement à travers les détours <strong>de</strong> son errance. Il n’est plus<br />

partie prenante <strong>de</strong> l’aventure mais témoin ou auditeur d’une aventure qui se<br />

glisse dans le récit sous forme <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>. Si l’on songe que le verbe trouver<br />

signifie aussi, dans la <strong>langue</strong> médiévale, «␣ écrire␣ » (< *tropare), on peut à nouveau<br />

entrevoir, <strong>de</strong>rrière la figure du Chevalier errant, celle <strong>de</strong> l’auteur lui-même, dont<br />

l’une <strong>de</strong>s fonctions est <strong>de</strong> combler, par la littérature, les déficiences <strong>de</strong> la réalité.<br />

Enfin, on peut remarquer quelques mentions du terme <strong>nouvelle</strong> qui, eu égard à<br />

l’origine <strong>de</strong> Thomas <strong>de</strong> Saluces, peut éventuellement s’interpréter comme un italianisme<br />

qui aurait donc déjà son acception littéraire. Ainsi, l’histoire <strong>de</strong> la<br />

«␣ prestresse␣ » suscite la colère du dieu et <strong>de</strong> la déesse d’Amour «␣ quant ilz enten<strong>de</strong>nt<br />

la <strong>nouvelle</strong>␣ » (ch. 90, f° 61b) ; avant <strong>de</strong> lui raconter l’histoire <strong>de</strong> Grisilidis,<br />

Orose <strong>de</strong>man<strong>de</strong> au Chevalier : «␣ qui estez vouz qui ainsi ententivement me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z<br />

<strong>nouvelle</strong>z ?␣ » (ch. 266, f° 138b) ; le Chevalier <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à dame Connaissance<br />

<strong>de</strong> lui raconter les exploits <strong>de</strong> sa grand-mère Richar<strong>de</strong> «␣ car longtemps a<br />

que n’oÿ <strong>nouvelle</strong>z <strong>de</strong> mes <strong>de</strong>vanciers␣ » (ch. 349, f° 182b).<br />

Ces observations nous amènent à poser la question du rapport organique <strong>de</strong> la<br />

<strong>nouvelle</strong> au roman qui l’englobe. S’instaure ainsi une dialectique <strong>de</strong> la clôture et<br />

<strong>de</strong> l’ouverture : si la <strong>nouvelle</strong> peut exister en elle-même (<strong>de</strong> par son «␣ ipséité␣ »),<br />

comme récit clos sur lui-même, doté d’un intérêt propre, souvent garanti par sa<br />

véridicité, qui le rend digne <strong>de</strong> mémoire (les formules introductives soulignent<br />

généralement ces traits), sa présence au sein du roman la redéfinit partiellement,<br />

la dote d’une profon<strong>de</strong>ur inédite. À un premier niveau, l’introduction <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s<br />

est motivée <strong>de</strong> diverses façons et cette variété révèle une exploration <strong>de</strong>s<br />

nive<strong>aux</strong> <strong>de</strong> narration du roman. Le narrateur omniscient profite <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription<br />

d’un lieu et <strong>de</strong> ses occupants pour relater une histoire les concernant (le signalement<br />

<strong>de</strong>s occupantes <strong>de</strong>s tribunes lors du combat entre Amoureux et Jaloux dé-

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