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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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476<br />

LA VOIX DES CONTES<br />

vence<strong>aux</strong> relatée par Nicolas <strong>de</strong> Troyes dans son Grand parangon montre une relation<br />

moins simple qu’un face-à-face direct avec l’au-<strong>de</strong>là, comme c’est le cas <strong>de</strong>s<br />

types <strong>de</strong> récits – soit horizont<strong>aux</strong>, soit vertic<strong>aux</strong> – essentiellement bipolaires. L’histoire<br />

tourne autour <strong>de</strong> la parole donnée. Les fées 20 , montrant leur gratitu<strong>de</strong>, s’engagent<br />

à accor<strong>de</strong>r trois vœux <strong>aux</strong> terrestres. L’impru<strong>de</strong>nce langagière fait perdre<br />

la possibilité du bonheur matériel. Le rôle <strong>de</strong>s fées est ambigu : elles appartiennent<br />

à la fois à la sphère du Bien et à celle du Mal. Le piège <strong>de</strong> l’autre mon<strong>de</strong> est<br />

inévitable : l’action irréfléchie est commise, la punition opère par les héros mêmes.<br />

<strong>La</strong> ruse <strong>de</strong> l’autre mon<strong>de</strong> réussit par une voie factitive car les jouvence<strong>aux</strong><br />

ne sont pas initiés <strong>aux</strong> secrets <strong>de</strong> la sagesse. Ils étaient visités, acci<strong>de</strong>ntellement,<br />

par les représentants du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s fées, ils ne font que frôler les limites, l’expérience<br />

vécue (la danse, moyen intime et éclatant <strong>de</strong> l’initiation) ne leur apprend<br />

rien. L’oscillation entre les <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s se trouve arrêtée, l’initiation repoussée<br />

à la surface même.<br />

CORTÈGE<br />

L’approche du mon<strong>de</strong> terrestre semble être également unilatérale dans les récits<br />

relatant l’apparition d’un cortège fantomatique. L’image isolée <strong>de</strong> ces défilés,<br />

qui marque, à mon avis, la limite du merveilleux et du fantastique, n’est qu’un<br />

fragment d’histoires mystifiées <strong>de</strong> pécheurs longtemps oubliés. On ne sait guère<br />

pour quel vice ils sont condamnés à revenir hanter les vivants, mais il est clair<br />

que leur histoire sublimée en croyances éloquentes – malgré leur caractère essentiellement<br />

dépourvu <strong>de</strong> sonorité – adresse un avertissement <strong>aux</strong> mortels.<br />

Le cortège, image essentiellement horizontale, apparaît tantôt se déplaçant,<br />

muet, dans les rues endormies du village, <strong>de</strong>vant les yeux ébahis d’un curieux,<br />

tantôt revêt un aspect religieux, et se range autour d’un autel ou d’une sépulture,<br />

formant un chapitre infernal qui récite <strong>de</strong>s chants funèbres. À l’opposé <strong>de</strong>s histoires<br />

initiatiques, pleines d’action, <strong>de</strong> faits et gestes, ces cortèges ne font pratiquement<br />

rien ; dans les histoires, l’important n’est rien d’autre qu’ils soient vus.<br />

L’amant sacrilège <strong>de</strong> Jean-Pierre Camus, se rendant au ren<strong>de</strong>z-vous vicieux à<br />

l’église du couvent où il espère retrouver son amante,<br />

fut tout étonné, encore qu’il ne cherchât que les ténèbres, <strong>de</strong> voir aussi clair qu’en<br />

plein jour, tout y étant rempli <strong>de</strong> cierges et <strong>de</strong> flambe<strong>aux</strong> allumés. Il ouït chanter<br />

<strong>de</strong>vant l’autel non <strong>de</strong>s voix féminines, mais mâles. Il avance, il voit <strong>de</strong>s moines<br />

rangés en ordre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés d’une bière couverte d’un grand drap mortuaire, qui<br />

chantaient l’office <strong>de</strong>s morts 21 .<br />

À sa question : pour qui font-ils l’office, il obtient, en réponse <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong>s chantres,<br />

son propre nom. «␣ Les voix et les regards <strong>de</strong> ces moines lui donnèrent <strong>de</strong><br />

l’épouvante et du trouble 22 ␣».

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