La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LE PERFORMATIF ET LA NOUVELLE
En tant que genre à fort degré performatif, la nouvelle abuse, comme Don
Juan, de l’institution de la promesse. Elle s’élabore telle un dispositif de séduction.
À l’instar de la promesse donjuanesque, elle est liée à un temps d’urgence.
Elle est fuite en avant, vers sa fin. Elle est tout entière constituée dans sa forme
classique, mais aussi dans sa forme contemporaine quoi qu’on en dise, par l’acte
d’anticiper, par l’acte de conclure, par la jouissance assurée, par l’accomplissement
rapide de la promesse qui a été programmée dès le départ, c’est-à-dire par la
satisfaction immédiate du désir créé. Promesse d’un texte ramassé, promesse d’acmés
rapprochées, promesse d’une fin imminente qui donne son sens au récit,
promesse de fournir le constatif du performatif.
La nouvelle ne s’intéresse pas au sens de la même façon que le roman. Autant
et sinon plus qu’au sens, elle s’intéresse à la force du discours sur le sens. Autrement
dit, elle tend à faire jouer le sens vers la portée référentielle du texte, c’està-dire
vers le contexte de la communication littéraire, vers l’impact sur le lecteur,
vers l’effet illocutoire et perlocutoire. La nouvelle ne fait ainsi pas que dire, elle
fait elle-même, voire elle fait faire. Elle tire sa jouissance et son pouvoir sur le
lecteur de la force de frappe de son discours.
La théorie affirme que toutes les énonciations qui, dans le dire lui-même,
comprennent déjà un faire qui excède ce dire, se caractérisent par une réflexivité
forte. À leur instar, la nouvelle se voit aussi tout naturellement entraînée à réfléchir
sur son propre processus. Croyant au sens moins que le roman, mais plus
que la poésie, elle déconstruit sans cesse sa propre croyance : voilà pourquoi elle
tend à travailler davantage sa sui-référentialité, entre le roman et la poésie. Cette
sui-référentialité dit sans cesse au lecteur : je suis une nouvelle, je suis un texte
littéraire qui a adopté une forme reconnaissable, celle de la nouvelle, je suis un
type de récit qui cherche à agir sur vous, lecteur, plus que d’autres textes littéraires,
je me trouve à réfléchir constamment en cours de narration sur mes effets, et
donc sur mon fonctionnement, sur ma forme, sur ma force, sur ma valeur. Je me
trouve ainsi à mettre en abyme, implicitement ou explicitement, un art poétique
sur le mode fictif. La nouvelle contemporaine accorde d’ailleurs tant d’importance
à ce genre d’auto-réflexion, qu’elle l’a développée en un sous-genre, la
métafiction, laquelle est très répandue dans la short story actuelle sur le plan mondial.
À cause de cette sui-référentialité forte, le sens de la nouvelle tend à se déplacer
vers la portée référentielle du texte, c’est-à-dire vers son contexte de réception, au
point que sens et référence en arrivent à se confondre. La dimension auto-réflexive
n’entre aucunement en contradiction avec l’accent mis sur l’effet illocutoire
et perlocutoire. En fait la dichotomie entre la sui-référentialité et la référentialité
contextuelle se voit subvertie, puisque la sui-référentialité de la nouvelle parvient
à produire un excès référentiel et finit par aboutir à un excès performatif.
En plus simple, la nouvelle elle-même pourrait dire : «␣ Je suis un récit qui cherche
sans cesse à étudier mes effets sur mon lecteur potentiel, qui le lui dit et le lui