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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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CARACTÈRES, PORTRAITS ET NOUVELLES AU TOURNANT DES LUMIÈRES<br />

Ce qui doit prouver <strong>aux</strong> jeunes gens, capables <strong>de</strong> quelque réflexion, combien… (p.␣ 29),<br />

et j’ose vous répondre que vous me remercierez <strong>de</strong> vous avoir donné un conseil si<br />

salutaire… (p.␣ 34),<br />

Ne croyez donc plus qu’il suffise… (p.␣ 90).<br />

Le contenu et le sens <strong>de</strong>s dénouements reflètent les mêmes tensions : combien<br />

<strong>de</strong> dénouements forcément heureux, non pas romanesques, mais édifiants, qui<br />

voient le Bien récompensé, le Mal puni et les efforts <strong>de</strong> conversion salués ! Pourtant,<br />

quelques lignes montrent <strong>de</strong>s richesses romanesques que nos auteurs envisagent,<br />

sans les exploiter. De même que la critique se plaît à débusquer <strong>de</strong>s embryons<br />

<strong>de</strong> romans chez <strong>La</strong> Bruyère, certains non-dits révèlent un plaisir du texte<br />

romanesque, que ces auteurs développent dans d’autres ouvrages, authentiques<br />

romans ou recueils <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s… Témoin, cet épilogue non raconté à propos <strong>de</strong><br />

la fin <strong>de</strong> vie d’une jeune vaniteuse : «␣ Un voyageur que j’ai rencontré il y a peu <strong>de</strong><br />

temps m’a conté que…␣ » ; suit une rapi<strong>de</strong> énumération <strong>de</strong>s revers <strong>de</strong> fortune, <strong>de</strong><br />

la maladie et <strong>de</strong> la conversion morale <strong>de</strong> la jeune fille (Le petit <strong>La</strong> Bruyère, p.␣ 63) ;<br />

ou cette conclusion qui envisage un déroulement narratif autre :<br />

Cette histoire a eu, je l’avoue, une fin heureuse, mais elle a été achetée par <strong>de</strong>s années<br />

<strong>de</strong> douleur et <strong>de</strong> souffrances ; elles furent dues à <strong>de</strong>s propos indiscrets et sans aucun<br />

fon<strong>de</strong>ment. Sans la médisante Rosalie, Belfond n’eût vécu que pour le bonheur <strong>de</strong> sa<br />

fille où il eût trouvé le sien ; Clarisse eût fait un mariage assorti, et serait aujourd’hui<br />

épouse et mère ; elle n’eût pas consumé ses plus belles années dans <strong>de</strong>s épreuves<br />

pénibles dont la vertu a triomphé mais dont elle a beaucoup souffert (Le <strong>La</strong> Bruyère <strong>de</strong><br />

jeunes <strong>de</strong>moiselles, p.␣ 122).<br />

<strong>La</strong> tutelle morale qui tient ces textes en bri<strong>de</strong> le jeu, comme dans ce <strong>de</strong>rnier<br />

exemple tiré du chapitre␣ XXIX du <strong>La</strong> Bruyère <strong>de</strong> jeunes <strong>de</strong>moiselles intitulé «␣ De la<br />

médiocrité␣ », qui peut se lire comme une réécriture du début <strong>de</strong> Jeannot et Colin 8<br />

moins la fin, puisque la rencontre entre les <strong>de</strong>ux anciennes amies séparées par un<br />

changement d’état, n’est pas suivie d’un provi<strong>de</strong>ntiel revers <strong>de</strong> fortune, mais d’une<br />

conversation instructive avec la mère…<br />

L’intérêt <strong>de</strong> ces textes est d’abord <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce une intertextualité<br />

entre les Caractères <strong>de</strong> <strong>La</strong> Bruyère et une partie non négligeable <strong>de</strong> la production<br />

édifiante <strong>de</strong> la fin du XVII e siècle et du début du XIX e siècle. Le recours à un texte<br />

bref, l’ancrage dans la réalité et la volonté moraliste sont à l’origine <strong>de</strong> cette rencontre<br />

entre un grand auteur et <strong>de</strong>s minores. Le second intérêt est d’ordre<br />

narratologique. De même que l’on a pu déceler chez <strong>La</strong> Bruyère <strong>de</strong>s fragments<br />

narratifs se rapprochant <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> ou du roman, les caractères, les portraits<br />

et les fragments <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s <strong>de</strong> Madame <strong>de</strong> Genlis, <strong>de</strong> Madame Mallès <strong>de</strong> Beaulieu<br />

ou <strong>de</strong> Berquin, qu’il s’agisse <strong>de</strong> textes isolés ou insérés dans <strong>de</strong>s développements<br />

mor<strong>aux</strong>, posent un certain nombre <strong>de</strong> problèmes : fusion entre le texte moral et<br />

la fable lui servant d’appui, tension entre les sources authentiques revendiquées

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