03.07.2013 Views

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LES OBJETS DE LA MIMESIS :<br />

ENQUÊTE POÉTIQUE SUR LA MORT<br />

DE BAJAZET DANS L’HISTOIRE,<br />

LA NOUVELLE ET LA TRAGÉDIE<br />

<strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> au XVII e siècle est un <strong>de</strong>s lieux où la critique classique <strong>de</strong>s genres<br />

redéfinit sa conception <strong>de</strong> la fiction : nous avons déjà eu l’occasion <strong>de</strong> rappeler,<br />

autour <strong>de</strong>s débats suscités par la Princesse <strong>de</strong> Clèves, comment s’y effectue le rejet<br />

d’une poétique du héros, laquelle est emblématique <strong>de</strong>s grands romans chevaleresques<br />

et galants <strong>de</strong> la première moitié du XVII e siècle 1 , et comment y est valorisée,<br />

au détriment <strong>de</strong> la construction épique <strong>de</strong> l’action, la mimesis <strong>de</strong>s caractères et<br />

<strong>de</strong>s mœurs dans un but rhétorique d’édification.<br />

L’imitation poétique du mon<strong>de</strong> est habituellement confondue (<strong>de</strong>puis la rhétorique<br />

latine) avec une imitation <strong>de</strong>s textes et <strong>de</strong> leur art. Mais une distinction<br />

existe, qui nous permet en sens inverse d’analyser <strong>de</strong> façon plus raffinée l’art <strong>de</strong><br />

l’imitation : dans la terminologie aristotélicienne, la mimesis poétique porte nécessairement<br />

sur trois objets : les actions, les caractères et/ou les passions. Après<br />

l’analyse <strong>de</strong> l’imitation active et éthique dans la <strong>nouvelle</strong>, il nous reste alors une<br />

<strong>de</strong>rnière problématique à envisager, la représentation <strong>de</strong>s passions. Le point d’arrivée<br />

ici est connu : la secon<strong>de</strong> moitié du siècle sera dominée par un pathétique<br />

triomphant, tant dans l’objet <strong>de</strong> l’imitation que dans ses mo<strong>de</strong>s (narration et<br />

drame). <strong>La</strong> question se pose <strong>de</strong> savoir si la <strong>nouvelle</strong> classique a pu servir aussi en<br />

ce domaine <strong>de</strong> laboratoire poétique.<br />

Pour mettre en place les éléments d’une réponse, nous disposons d’une série<br />

<strong>de</strong> textes exemplaires prenant comme motif potentiellement pathétique la mort<br />

<strong>de</strong> Bajazet. Cette histoire se trouve en effet consignée dans <strong>de</strong>s lettres d’ambassa<strong>de</strong><br />

(1635-1640) 2 , Segrais les reprend pour en donner une <strong>nouvelle</strong> galante, intitulée<br />

«␣ Floridon ou L’amour impru<strong>de</strong>nt␣ » et placée à la fin <strong>de</strong> ses Nouvelles <strong>française</strong>s<br />

(1656), enfin Racine réutilise les versions <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux prédécesseurs pour écrire<br />

la tragédie <strong>de</strong> Bajazet (1672) 3 . Qu’il y ait un modèle très élaboré <strong>de</strong> la mimesis<br />

pathétique dans la fiction dramatique <strong>de</strong> Racine, n’a rien pour surprendre : à<br />

l’autre bout <strong>de</strong> la chaîne, l’introducteur <strong>de</strong> cette histoire en France hésitera entre<br />

<strong>de</strong>ux modèles fictionnels convenus (un modèle galant et un modèle chevaleresque)<br />

pour mettre en récit cette donnée événementielle.<br />

Entre les <strong>de</strong>ux, la <strong>nouvelle</strong> <strong>de</strong> Segrais renchérit sur les récits <strong>de</strong> Césy en ce qui<br />

concerne l’action (ajout d’épiso<strong>de</strong>s galants) et la matière morale (traitement cornélien<br />

<strong>de</strong> l’héroïsme), mais Segrais place aussi une peinture <strong>de</strong>s passions coupables,<br />

en opposition à la morale idéale attendue dans les romans. C’est précisé-

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!