La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

MARY GALLAGHER 447
Il y avait aussi cette inquiétude qui tombait en paroles de sa bouche ; une parole
jamais inutile mais jamais très sensée, comme s’il n’avait pas la maîtrise du langage
et qu’il utilisait son créole ou son français comme de petites roches chaudes qu’il
assemblait vitement-pressé et qu’il te déposait encore plus vitement avec une grimace
de malin très vicieux 12 .
Non seulement la nouvelle de Chamoiseau déborde de références à la parole,
mais comme l’énonciation narrative s’inscrit de manière très marquée dans l’ordre
de l’ici-maintenant, le métadiscours affiche une valeur réflexive ou
performative qui ne fait que souligner la force de sa présence dans le texte : «␣ Je
ne veux pas malparler, car c’est parole lavée au silence de minuit, bien nettoyée,
bien astiquée, et balancée avec la foi en Dieu 13 ␣ » ; «␣ C’était, je veux dire, une case
“arrêtée” ; elle semblait vouloir se perdre dans le fond de terre rouge que les pluies
ravinaient par endroits… 14 » ; « Mais comment dire le reste et comment le dire sans
maldire ? Comment dire sa présence nocturne devant le pas de sa maison à regarder
la lune ? Comment dire les bêtes à feu amassées au dessus de sa case comme
mouches sur un sirop […] 15 ».
Or, le sujet de l’énonciation mis en scène dans le texte de Chamoiseau, ce sujet
qui parle sans cesse de son dire, est présenté comme faisant partie d’une certaine
communauté, ou mieux, comme parlant essentiellement au nom d’un certain
«␣ nous␣ ». Aussi son discours met-il en valeur l’importance capitale au niveau collectif
et identitaire du rôle joué par la parole et par son maître, le conteur. L’identification
du narrateur avec cette communauté qui est tout à fait obsédée par le
pouvoir de la parole et par le charisme du conteur, ressort de façon particulièrement
claire de l’extrait suivant, lequel raconte la fascination exercée sur le «␣ nous␣ »
par la parole de Cestor, «␣ Maître de la parole␣ » par excellence :
Nous voulions entendre ses oraisons à l’herbe, mais, bien que nous rapprochant,
bien qu’entendant sa voix, il nous était impossible de comprendre son murmure.
Cela semblait être une parole d’au-delà des paroles. Ses mots nous éclaboussaient comme
une rosée froide. Ce langage-là, en vérité, se nourrissait de nos propres chairs et de nos
propres ombres. […] Nous nous taisions pour mieux participer de son dire au bananier, et
pour trouver au fond de notre cœur un reste de langage, non pas des mots, mais des
paroles intérieures, de celles qui battaient en nous depuis nanni-nannan, qui embrumaient
nos rêves et envasaient nos vies, et qui nous taraudaient à notre insu sauf en
certaines heures où tel ou tel, accoré sur une trace, se mettait à crier un mot qui
n’était pas un cri 16 .
Dans la nouvelle de Raphaël Confiant 17 , l’oralité de l’écrit est fonction moins
d’un métadiscours très marqué que de la teneur (détendue, familière) de la relation
établie entre le narrateur et son public/lectorat 18 . De même, le texte de Gisèle
Pineau 19 focalise avant tout la relation entre la narratrice (qui s’exprime à la première
personne) et le public auquel celle-ci s’adresse directement. Par exemple,
lorsque la narratrice confie «␣ Alors, comprenez-moi, je me demande si je n’ai pas