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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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GABRIEL PÉROUSE 43<br />

ment, etc. 13 ). Quand on se surveille, on appelle cela <strong>de</strong>s «␣ <strong>nouvelle</strong>s␣ » ; sinon, on<br />

le nomme «␣ conte␣ », comme c’est l’habitu<strong>de</strong> pour toute narration brève.<br />

Or il se trouve que cette émergence <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> a lieu à la fin du XV e siècle,<br />

au moment même où triomphe le «␣ nouvel␣ » art d’imprimerie. De sorte que, vers<br />

1530, lorsque les libraires auront compris que celui-ci ne <strong>de</strong>vait pas rester au<br />

service <strong>de</strong>s latinophones (édition <strong>de</strong>s Écritures ou <strong>de</strong>s classiques <strong>de</strong> l’antiquité)<br />

mais pouvait conquérir une nombreuse clientèle <strong>de</strong> <strong>langue</strong> vulgaire, ils s’intéresseront<br />

évi<strong>de</strong>mment à la <strong>nouvelle</strong>, genre en expansion et qui promettait un bon<br />

débit. De fait, les recueils fleurirent entre␣ 1535 et␣ 1545 – et même, un peu moins<br />

<strong>de</strong>nsément, jusqu’en 1560 ; bien mieux, on croit apercevoir que les professionnels<br />

du livre firent un effort «␣ pédagogique␣ » afin d’acclimater ce genre dont ils<br />

attendaient beaucoup 14 . Ainsi, grâce <strong>aux</strong> presses et pour fournir <strong>aux</strong> presses, grandit<br />

cet avatar mo<strong>de</strong>rne du vieux conte qu’était décidément la «␣ <strong>nouvelle</strong>␣ ». Les récits<br />

du fonds folklorique <strong>de</strong>vront, quant à eux, attendre plus d’un siècle pour être<br />

aspirés par la même dynamique <strong>de</strong> l’écriture au temps <strong>de</strong> Charles Perrault 15 .<br />

<strong>La</strong> production <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s, au début du XVI e siècle, ne se limite point, du<br />

reste, <strong>aux</strong> imprimés : les exemples <strong>de</strong> Philippe <strong>de</strong> Vigneulles (vers 1505) et <strong>de</strong><br />

Nicolas <strong>de</strong> Troyes (vers 1535) en témoignent. L’un et l’autre ont, pendant <strong>de</strong>s<br />

années, consigné et empilé dans <strong>de</strong> gros cahiers les histoires joyeuses qui «␣ venoient<br />

à [leur] cognoissance 16 ␣ », mais ni l’un ni l’autre n’a jugé bon <strong>de</strong> les faire imprimer<br />

: leurs recueils n’ont connu les presses que beaucoup plus tard. Dira-t-on que<br />

cela contredit ce qui vient d’être avancé ? Nous ne le croyons pas. S’il est vrai que<br />

leurs collections, en leurs temps, sont restées manuscrites, c’est peut-être pour<br />

<strong>de</strong>s motifs circonstanciels (nul libraire n’en ayant eu vent), et il apparaît du moins<br />

que Philippe et Nicolas, affichant le titre <strong>de</strong> «␣ <strong>nouvelle</strong>s␣ », mettent en forme et<br />

rédigent soigneusement leurs récits, offrant ainsi l’exemple <strong>de</strong> ces vaillants «␣ acteurs␣<br />

» dont parle justement Philippe, qui sont les médiateurs décisifs du passage<br />

<strong>de</strong> l’oral à l’écrit 17 .<br />

Arrêtons-nous un instant à ce moment – fugitif – où «␣ <strong>nouvelle</strong>␣ » et «␣ conte␣ »<br />

semblent clairement distingués.<br />

Malgré les périls <strong>de</strong> semblables généralités, on a droit d’apercevoir, à la Renaissance,<br />

une valorisation <strong>de</strong> l’individu, désormais intéressant par ses particularités<br />

et non plus seulement par son appartenance à la communauté <strong>de</strong>s mortels, <strong>de</strong>s<br />

chrétiens, <strong>de</strong>s bourgeois <strong>de</strong> telle ou telle ville. De Villon à l’Adolescence clementine,<br />

<strong>de</strong> la Vie <strong>de</strong> Benvenuto Cellini <strong>aux</strong> Essais <strong>de</strong> Montaigne, les témoins (dans tous<br />

les genres) semblent peu discutables. Avons-nous tort <strong>de</strong> penser que la <strong>nouvelle</strong><br />

répond à ce goût <strong>de</strong> l’individuel, campant <strong>de</strong>s personnages dont le caractère est<br />

souvent bien esquissé, au sein d’un univers d’aspect réaliste, et les présentant<br />

(grâce à la forme écrite) à <strong>de</strong>s lecteurs individuels ? C’est chacun <strong>de</strong> nous, dans<br />

son intimité, qui s’interroge au miroir <strong>de</strong> l’Heptaméron. En revanche, le conte<br />

(nous pouvons maintenant dire «␣ le conte au sens strict␣ », la «␣ fable␣ ») évoque<br />

«␣ le prince␣ », «␣ la belle␣ », «␣ le pauvre manant␣ », types d’on ne sait quand et <strong>de</strong>

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