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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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NOUVELLE ET AUTOFICTION␣ : LE CAS GUIBERT<br />

En fait, l’écriture <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> contribue à suspendre le récit <strong>de</strong> soi. Elle favorise<br />

le partiel, le discontinu, l’ellipse. Comme durée tronquée, elle saisit <strong>de</strong>s séquences<br />

<strong>de</strong> vie limitées. Elle est donc adaptée à l’expression d’expériences particulières<br />

qui se présentent comme <strong>de</strong>s parenthèses. Si elle peut occasionnellement<br />

lancer quelques pistes pour une compréhension <strong>de</strong>s déterminations subjectives<br />

répétées, elle ne constitue pas le lieu <strong>de</strong> leur étu<strong>de</strong> en profon<strong>de</strong>ur. <strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> ne<br />

participe pas d’une approche linéaire du sujet, liée à <strong>de</strong>s situations fondatrices<br />

sur lesquels les récits longs se centrent prioritairement — l’enfance, la passion, la<br />

maladie. Elle cible davantage <strong>de</strong>s écarts, <strong>de</strong>s épiphénomènes, qui permettent la<br />

détection <strong>de</strong> soi par l’aléatoire. Dispersées, les <strong>nouvelle</strong>s relatent fréquemment<br />

quelque dissipation, géographique ou amoureuse, quelque péripétie d’existence.<br />

Le narrateur s’y saisit légèrement hors <strong>de</strong> lui, comme sous l’effet d’un transvasement<br />

: les cadres bougent, les repères glissent. <strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> mesure cette fragilité<br />

<strong>de</strong>s instances tutorales qui fon<strong>de</strong>nt le sujet et qu’un déplacement occasionnel<br />

suffit à faire vaciller. En même temps, elle témoigne du caractère irréductible <strong>de</strong><br />

ces expériences passagères, moins en raison <strong>de</strong> leur nature exceptionnelle que <strong>de</strong><br />

la mobilité et <strong>de</strong> l’énergie affective qu’elles suscitent : en comblant le sujet, elles<br />

lui permettent d’atteindre sa propre conscience. En ce sens, les <strong>nouvelle</strong>s relèvent<br />

<strong>de</strong> ce que Guibert nomme, dans L’image fantôme, une écriture mélancolique<br />

7 . Elles portent le <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> ces aventures singulières, pour reprendre le titre<br />

équivoque d’un autre recueil, elles en consignent la défection, elles célèbrent<br />

ainsi différentes morts à soi. Les récits longs par contre, en alignant la matière<br />

narrée, en créant un espace <strong>de</strong> texte plus vaste, en se proposant comme durée,<br />

visent à dégager <strong>de</strong>s structures d’être, <strong>de</strong>s invariants du sujet, tout en respectant,<br />

par une composition du heurt et <strong>de</strong> la sacca<strong>de</strong>, ses disparités.<br />

Pour cette raison, les <strong>nouvelle</strong>s affichent en miniature le conflit à la fois esthétique<br />

et ontologique qui traverse l’œuvre <strong>de</strong> Guibert, entre désir d’unité et impuissance<br />

à l’atteindre. <strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> «␣ Mauve le vierge␣ », qui donne son titre à un<br />

recueil, le manifeste tout particulièrement. Elle se compose d’une suite d’épiso<strong>de</strong>s<br />

aussi déliés que brefs, dans lesquels le personnage principal, Mauve, renaît et<br />

se redéfinit en permanence. Chaque séquence établit un comportement, lance<br />

un événement, que la suivante périme. Cette actualité fugace et à jamais différée,<br />

du récit comme du héros, justifie la secon<strong>de</strong> partie du titre — le vierge — en associant<br />

les idées <strong>de</strong> fiction et d’être à une sorte d’incessante virtualité. Dans les<br />

récits <strong>de</strong> Guibert, les séquences peinent à s’agencer en action, les présences en<br />

personnages, le romanesque en fiction. <strong>La</strong> volonté <strong>de</strong> «␣ raconter <strong>de</strong>s histoires, le<br />

plus directement possible, comme <strong>de</strong> vive voix␣ », ainsi que l’écrivain le note dans<br />

<strong>La</strong> piqûre d’amour 8 , achoppe contre la perte <strong>de</strong> l’histoire, pour reprendre une formule<br />

<strong>de</strong> Mauve le vierge 9 . Il en résulte une écriture du volubile-volatile, qui multiplie<br />

<strong>de</strong>s fragments <strong>de</strong> fiction non aboutis, conserve l’irruption brute du romanesque<br />

mais aussi sa retombée et son arbitraire. <strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> entretient ainsi la nostalgie<br />

d’une relation pleine à l’idée consubstantielle <strong>de</strong> fiction et d’être. Par sa

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