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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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374<br />

NOUVELLE ET THÉÂTRE CONTEMPORAIN<br />

<strong>de</strong> parler, pour la <strong>nouvelle</strong>, d’une écriture concentrée, ne laissant place qu’à l’essentiel,<br />

ne pourrait-on pas parler, sur le modèle du théâtre, <strong>de</strong> cette « écriture<br />

trouée » si souvent évoquée ? Là où l’écriture romanesque, par exemple, comble<br />

l’imagination du lecteur par <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions précises et concrètes, fournissant<br />

tous les éléments nécessaires à notre bonne compréhension, la <strong>nouvelle</strong> ne laisset-elle<br />

pas place, comme l’écriture dramatique, à <strong>de</strong>s trous béants que la scène<br />

vient alors, en partie, combler ?<br />

Les caractéristiques évoquées ici, si elles sont pertinentes, ne sont pas pour<br />

autant essentielles – que ce soit pour le théâtre contemporain en général, pour la<br />

démarche d’Antoine Vitez en particulier. On a vu <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> théâtre-récit basées<br />

sur <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s à la troisième personne, où l’acteur se dédouble, « racontant<br />

» et « représentant » tout à la fois, créant ainsi un effet <strong>de</strong> distanciation<br />

propre à un certain théâtre épique. « Faire du théâtre à la troisième personne »,<br />

disait Antoine Vitez.<br />

Pas seulement le je et le tu. Aussi dans la narration dans le jeu lui-même. Faire du<br />

théâtre <strong>de</strong> tout ? Jouer tout ? L’acteur peut-il jouer autre chose que <strong>de</strong>s personnages,<br />

mais aussi les rues, les villes, les maisons, les arbres 8 .<br />

LA PAROLE<br />

Nous terminerons par un <strong>de</strong>rnier élément propre à éclairer le rapport entre les<br />

<strong>de</strong>ux genres. Nous savons que la parole au théâtre ne va jamais <strong>de</strong> soi, le silence<br />

étant la norme. Sans cesse le théâtre exige que l’on répon<strong>de</strong> à la question : pourquoi<br />

ça parle ?<br />

Si le personnage <strong>de</strong> femme du Sas, le très beau monologue <strong>de</strong> Michel Azama,<br />

ne cesse <strong>de</strong> parler, extériorisant son monologue intérieur en un long flot verbal,<br />

ressassant les souvenirs <strong>de</strong> seize années <strong>de</strong> prison, c’est parce qu’après seize années<br />

d’enfermement, il est sur le point <strong>de</strong> recouvrer sa liberté. Michel Azama luimême,<br />

cherchant un déclencheur à l’écriture, relevait que ce sont dans les <strong>de</strong>rnières<br />

semaines d’emprisonnement que les suici<strong>de</strong>s en prison se relevaient les<br />

plus nombreux – l’imminence <strong>de</strong> la sortie, d’une confrontation avec la réalité<br />

dont on a été extrait <strong>de</strong>puis plusieurs années, <strong>de</strong>venant insupportable. Cette situation<br />

<strong>de</strong>vient le déclencheur <strong>de</strong> la parole du personnage.<br />

Dans d’autres monologues, souligne Jean-Pierre Sarrazac,<br />

l’abondance verbale n’est que le ressac d’un empêchement <strong>de</strong> parler et le déferlement<br />

<strong>de</strong> paroles du personnage intervient comme la stricte compensation, au poids<br />

<strong>de</strong>s mots, d’un refoulement dont les causes sont sociales et existentielles 9 .<br />

Les monologues <strong>de</strong> Beckett, eux, ne cessent <strong>de</strong> combler l’appel <strong>de</strong> la mort,<br />

tentant <strong>de</strong> remplir <strong>de</strong> mots vi<strong>de</strong>s les vi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’existence.

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