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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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ALEXANDRE GEFEN 529<br />

D’autres <strong>de</strong>scriptions théoriques mettent en œuvre <strong>de</strong>s distinctions analogues. Si<br />

l’on transpose comme le fait T.␣ Ozwald 61 la notion <strong>de</strong> nouveauté en termes<br />

phénoménologiques, en faisant du temps <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> l’épiphanie d’un ordre<br />

stable, inutile, et l’émergence d’une <strong>nouvelle</strong> figure du moi, au sens hégélien,<br />

une telle redéfinition offre un cadre interprétatif accueillant à la biographie : se<br />

lit dans le curriculum l’essence même <strong>de</strong> cette nécessaire forclusion du temps en<br />

<strong>de</strong>stin 62 .<br />

<strong>La</strong> notion <strong>de</strong> récit à élément unique est non moins productive car s’y révèle ce<br />

qui fait la spécificité <strong>de</strong> traitement <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> : donner en pâture au récit bref<br />

le matériau <strong>de</strong> la longue durée du vivant, dont on sait à quel point il est moteur<br />

d’inflation discursive, c’est pousser son art dans ses retranchements. Certes, l’unicité<br />

d’une personne offre un cadre cohérent au nouvelliste, mais il y a loin entre<br />

les innombrables <strong>nouvelle</strong>s qui tirent leur unité d’un caractère (ou <strong>de</strong> la conjonction<br />

événement/caractère) et le travail <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong> la pluralité humaine en<br />

<strong>de</strong>stin, cet élagage biographique forcené et inacceptable auquel la <strong>nouvelle</strong> soumet<br />

la dévorante exigence biographique. Celle-ci confère un caractère particulier<br />

d’incomplétu<strong>de</strong> au personnage <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, en opposition directe avec le personnage<br />

romanesque, qu’on pense par exemple à la désinvolture <strong>de</strong> Cendrars :<br />

Est-il mort en 1933 ou en 1935 ?<br />

Je ne sais pas.<br />

Pas plus que je ne sais, d’ailleurs, le nom <strong>de</strong> cet homme mort il y a quelques années<br />

à peine et dont j’improvise déjà l’hagiographie 63 .<br />

Ce travail est non seulement synthétique (D. Grojnowski parle <strong>de</strong> «␣ temporalité<br />

concentrée␣ »), mais aussi analytique, car comme le fait remarquer T.␣ Ozwald :<br />

<strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong>, c’est clair, ne retrace pas l’accomplissement d’un <strong>de</strong>stin, mais «␣ comptabilise␣<br />

» les coups du sort et induit une fatalité ; elle n’est que le «␣ miroir d’un moment␣<br />

», on <strong>de</strong>vrait dire la chronique d’une «␣ infortune␣ », au sens étymologique du<br />

terme.<br />

«␣ Le miroir d’un moment␣ » : la nécrologie la plus administrative fabrique du sens,<br />

oriente et explique le déroulement <strong>de</strong>s années révélées au lecteur. Dans les récits les<br />

plus anciens, ce sens prend la forme d’indications liminaires préparatoires à un récit<br />

qui en sera confirmation. L’auteur du XIX e siècle prend un plaisir consommé à faire<br />

<strong>de</strong> la clausule <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, <strong>de</strong> la mort du héros, le lieu ultime où se concentre la<br />

puissance dramatique et où se délivre le message. Les mo<strong>de</strong>rnes affectent une distanciation,<br />

à finalité existentielle (le cours <strong>de</strong>s choses tend au non-sens) ou métaphysique.<br />

<strong>La</strong> parole réifie, sauve peut-être, mais sans que le récit ait besoin <strong>de</strong> se faire<br />

résumé ou chronique, parce que la brièveté métamorphose la durée en crise et en pur<br />

signe, parce qu’elle récuse le traître pouvoir d’explication <strong>de</strong>s discours au profit <strong>de</strong><br />

l’affirmation <strong>de</strong> la singularité et <strong>de</strong>s drames qui lui sont afférents :

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