La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

LA NOUVELLE ANTILLAISE CONTEMPORAINE
OU LE MÉTISSAGE GÉNÉRIQUE
On peut dire de l’écriture contemporaine antillaise qu’elle s’inscrit sur plusieurs
plans dans une problématique du métissage. Non seulement le métissage
racial et culturel fournit depuis longtemps aux auteurs antillais une inspiration
thématique pour ainsi dire inépuisable, mais l’écriture contemporaine antillaise
se présente de plus en plus souvent comme un processus singulièrement intense
de croisement, notamment entre l’oral et l’écrit et entre la langue créole et la
langue française. Ce parti pris d’une esthétique de l’entrecroisement, tout en soulignant
(par un effet de mimétisme) le fait que le bassin caribéen est très précisément
un lieu de brassage culturel extrêmement intense, s’inscrit bien souvent
dans un rapport réflexif avec les thématiques de la créolisation et du métissage.
Or, en plus de favoriser la refonte des frontières entre diverses cultures, entre
l’oral et l’écrit et entre le créole et le français, le contexte culturel caribéen encourage
l’écrivain à mettre en question bien d’autres cloisonnements, bien d’autres
limites, entre autres les frontières séparant traditionnellement les divers genres
littéraires. Je pense ici, par exemple, aux deux textes que Patrick Chamoiseau fait
paraître dans le cadre de la collection «␣ Haute enfance 1 ␣ », et qui intègrent la poésie
à l’autobiographie. Et l’on pourrait citer dans le même contexte les brefs récits
que Raphaël Confiant publie pour sa part aux éditions des Mille et une nuits 2 et
qui participent tous à une certaine mise en doute des limites formelles définissant
traditionnellement la nouvelle. Ainsi, ni romans ni nouvelles, ces textes-ci
appartiennent à un genre mixte.
Il est vrai qu’une telle contestation des conventions génériques n’a en soi rien
d’original. Simplement, il se trouve que Chamoiseau et Confiant sont les deux
chefs de file d’un mouvement culturel caribéen qui se consacre à la remise en
question de la pureté, qu’elle soit culturelle, raciale, ethnique, linguistique ou
littéraire. En effet, le mouvement de la créolité, parrainé par Raphaël Confiant et
par Patrick Chamoiseau, élève en valeur absolue la démarche de l’hybridité ou de
l’indétermination. C’est un mouvement qui exalte tout ce qui relève de la jonction
créative entre des éléments divers, célébrant non seulement l’intertextualité
et l’interlecte, mais aussi «␣ l’inter-genre␣ ». D’ailleurs, dans leur manifeste, intitulé
Éloge de la créolité, les apôtres de la créolité, lorsqu’ils s’engagent à «␣ entrer dans la
minutieuse exploration de nous-mêmes 3 ␣», soulèvent très explicitement la question
des genres littéraires : ne prévoient-ils pas que cette entreprise d’exploration
mobilisera «␣ tous les genres littéraires (séparément ou dans la négation de leurs
frontières) 4 » ?