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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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196<br />

L’ADAPTATION DES NOUVELLES DE TCHÉKOV POUR LA SCÈNE FRANÇAISE<br />

secon<strong>de</strong>, il tient <strong>de</strong>s propos presque gentils. Il glisse un rouble sa femme lorsqu’il<br />

la quitte : dans la <strong>nouvelle</strong>, ce geste ne suscite aucune réaction ; dans l’adaptation,<br />

la paysanne s’en montre heureuse, sans qu’on sache si c’est pour l’argent<br />

lui-même (ce qui disqualifierait quelque peu ses sentiments) ou pour l’attention<br />

qu’il représente (ce qui permettrait un espoir <strong>de</strong> happy end sous la forme d’un<br />

rapprochement entre les époux). Le tragique tranquille <strong>de</strong> Tchékhov est affaibli<br />

et la structure originale, dont la finale restait indéfinie, est transformée par un<br />

embryon <strong>de</strong> «␣ pointe␣ ». Ce n’est donc plus vraiment «␣ du Tchékhov␣ ». Plus tard,<br />

les critiques étant assez négatives, Kobrynski se justifia :<br />

Doit-on adapter Tchékhov ? Comment ne pas être tenté <strong>de</strong> ranimer sur le plateau<br />

tous ces drames et comédies qui peuplent ses <strong>nouvelle</strong>s ! Parce que Tchékhov n’a<br />

écrit que <strong>de</strong>s drames et <strong>de</strong>s comédies même dans ses plus petites histoires à un seul<br />

personnage. 6<br />

En constatant ces modifications, il faut préciser que <strong>de</strong> nombreux adaptateurs<br />

signèrent leur travail <strong>de</strong> leur propre nom et non <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Tchékhov ; il ne<br />

s’agissait donc pas d’une escroquerie intellectuelle. Ce fait n’empêche pourtant<br />

pas <strong>de</strong> regretter, alors que les <strong>nouvelle</strong>s originales restent très reconnaissables, les<br />

distorsions qu’elles subissent, et qui ne contribuent ni à un approfondissement<br />

<strong>de</strong> sens ni à un raffinement <strong>de</strong> forme.<br />

Les adaptateurs se firent <strong>de</strong> plus en plus nombreux et illustres ; parmi eux on<br />

compte notamment, dans les années soixante, le metteur en scène André Barsacq<br />

et les dramaturges Arthur Adamov et Gabriel Arout. En même temps, les interrogations<br />

sur la légitimité <strong>de</strong> l’exercice se multipliaient. À propos <strong>de</strong> l’adaptation<br />

du Duel par Barsacq en 1967, le critique Léon Dominique regrettait :<br />

Je cite ces références afin <strong>de</strong> souligner l’énorme difficulté que représente l’adaptation<br />

du Duel à la scène. <strong>La</strong> lenteur du récit doit plonger le lecteur dans cette ambiance<br />

étouffante, tant physique que morale, lui rendre compréhensibles les réactions <strong>de</strong>s<br />

divers caractères, divers tempéraments, expliquer les mobiles <strong>de</strong> leur comportement.<br />

[…] Notre <strong>La</strong>yevski n’est pas un héros et, si l’on n’explique pas les conditions extérieures<br />

— ce qui est impossible sur un plateau —, lui et sa compagne <strong>de</strong>viennent<br />

absolument inconsistants. De ce fait leur subite transformation, leur résurrection<br />

morale à la fin <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> paraissent surprenantes et invraisemblables. Le dialogue<br />

seul est nettement insuffisant s’il n’est pas accompagné <strong>de</strong>s digressions <strong>de</strong> l’auteur,<br />

qui fait pénétrer le lecteur dans le secret <strong>de</strong> l’âme <strong>de</strong>s personnages, lui faisant suivre<br />

leurs hésitations, leurs évolutions. […] Si l’on ne connaît pas l’original, ou si on l’a<br />

oublié, beaucoup <strong>de</strong> choses paraissent inexplicables, démesurées, illogiques dans la<br />

pièce. 7<br />

Et <strong>de</strong> conclure :<br />

Mais est-ce du Tchekhov ? C’est là une autre question qui nous ramène à la thèse<br />

initiale : il y a un mon<strong>de</strong> entre un roman, une <strong>nouvelle</strong> et un drame… Malgré l’art du<br />

maître, le remaniement se sent fortement. 8

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