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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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NOUVELLE ET CONTE EN FRANCE, À LA RENAISSANCE<br />

«␣ conte␣ » implique-t-il aussi l’idée <strong>de</strong> brièveté ? C’est probable, ne serait-ce qu’à<br />

cause <strong>de</strong>s limites imposées par la mémoire du conteur et par les conditions <strong>de</strong><br />

l’énonciation <strong>de</strong>vant un public ; mais l’acception du mot est si compréhensive<br />

que nous surprenons nos auteurs à l’appliquer même à <strong>de</strong>s récits étendus 7 .<br />

Nous croyons avoir montré les traces, encore bien lisibles dans la terminologie<br />

tout au long du XVI e siècle et au-<strong>de</strong>là, <strong>de</strong> l’ancien statut du conte : récit à usage<br />

collectif (à la fois ludique et pédagogique), oral ou donné comme tel, sans références<br />

connues, échappant donc à toute théorisation. Mais on serait surpris que<br />

le siècle renaissant se soit contenté <strong>de</strong> vivre sur <strong>de</strong>s survivances – et, <strong>de</strong> fait, il<br />

apporta en ce domaine <strong>de</strong>s innovations décisives.<br />

Car la révolution liée à l’imprimerie et (d’autre part, mais concurremment)<br />

l’immense succès du modèle boccacien sont venus, dès avant l’orée du siècle,<br />

brouiller complètement les données traditionnelles régissant la transmission <strong>de</strong>s<br />

«␣ contes␣ ». D’où le besoin d’une différenciation terminologique, tantôt spontanée,<br />

tantôt délibérée, dont on va essayer d’esquisser ici les phases.<br />

Le mot «␣ <strong>nouvelle</strong>␣ » est ancien en français pour qualifier certains récits, mais il<br />

est rare jusqu’<strong>aux</strong> <strong>de</strong>rnières décennies du XV e siècle 8 . Et, lorsque son usage s’impose,<br />

c’est pour désigner un objet bien précis : le <strong>Livre</strong> <strong>de</strong>s cent <strong>nouvelle</strong>s (ou<br />

Décaméron) <strong>de</strong> messire Jean Boccace, florentin. On exagérerait à peine en disant<br />

que l’usage courant du nom est importé en France avec le recueil lui-même, <strong>de</strong>venu<br />

tardivement français par traduction. Les Cent <strong>nouvelle</strong>s <strong>nouvelle</strong>s («␣ bourguignonnes␣<br />

») jouent un rôle décisif dans cette naturalisation 9 : le public va s’habituer<br />

peu à peu à lire ces joyeuses histoires brèves et familières – «␣ <strong>nouvelle</strong>␣ » forme<br />

<strong>de</strong> narration, en effet. Mais le processus est lent, le mot «␣ conte␣ » gardant longtemps<br />

sa suprématie, même pour désigner cette nouveauté (souvenons-nous du<br />

double intitulé offert par Philippe <strong>de</strong> Vigneulles au tout début du siècle). Vers<br />

1530, «␣ <strong>nouvelle</strong>␣ » a l’air <strong>de</strong> sonner encore comme un vocable étranger, même<br />

pour les libraires parisiens ou lyonnais, qui ne savent pas trop quel genre <strong>de</strong> récit<br />

couronner <strong>de</strong> ce titre à la mo<strong>de</strong> 10 . Ce n’est qu’au milieu du siècle que le terme est<br />

vraiment <strong>de</strong>venu courant dans les milieux lettrés – et il est visiblement entendu<br />

qu’il s’applique à <strong>de</strong>s récits écrits, relevant <strong>de</strong> la littérature puisque leur modèle<br />

est un écrit. Or il faut répéter que le statut du «␣ conte␣ » en prose avait toujours été<br />

un statut oral : ces «␣ contes␣ » <strong>de</strong>s veillées, sans âge et anonymes, «␣ je ne les ai<br />

jamais vus écrits␣ », dira Lope <strong>de</strong> Vega au début du XVII e siècle 11 – et cette constatation<br />

est certainement valable pour les contes <strong>de</strong> toute nature : ceux (gnomiques)<br />

venus du folklore, mais aussi les récits récréatifs nés sur les lèvres du conteur au<br />

gré <strong>de</strong> l’actualité du groupe 12 . Ainsi, à l’intérieur <strong>de</strong> la nébuleuse du «␣ conte␣ », se<br />

distingue <strong>de</strong> plus en plus nettement la «␣ <strong>nouvelle</strong>␣ » : récit d’événements proches<br />

dans le temps et dans l’espace et traitant <strong>de</strong> choses familières dans un esprit le<br />

plus souvent joyeux (voire grivois) ; c’est-à-dire, en somme, la secon<strong>de</strong> catégorie<br />

que nous venons d’évoquer, mais avec cette nouveauté décisive que le récit fait<br />

l’objet d’un travail d’écriture dont le Décaméron <strong>de</strong>meure le modèle (encadre-

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