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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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HUYSMANS ET LA NOUVELLE<br />

ques à s’être intéressés à ces <strong>nouvelle</strong>s, a souligné que le personnage habituel <strong>de</strong><br />

Huysmans, le célibataire, pour être apparemment absent d’Un dilemme, est en<br />

réalité le centre invisible du récit, en la personne <strong>de</strong> Jules 5 . De manière plus évi<strong>de</strong>nte,<br />

même si maître Le Ponsart représente l’archétype du bourgeois matérialiste,<br />

sa vie n’en est pas moins régie par «␣ les catégories qui organisent concrètement<br />

l’existence du célibataire␣ » et constituent certains thèmes majeurs <strong>de</strong>s romans<br />

<strong>de</strong> Huysmans, «␣ le service, la règle, la clôture␣ » ou «␣ la virilité 6 ␣ ». <strong>La</strong> démarche<br />

même <strong>de</strong> monsieur Bougran, autre célibataire, véritable avatar du Folantin<br />

d’À vau l’eau, attaché à recréer dans son propre appartement le seul milieu où il<br />

peut évoluer, ne répète-t-elle pas celle <strong>de</strong> <strong>de</strong>s Esseintes dans sa villa <strong>de</strong> Fontenay<strong>aux</strong>-Roses<br />

? Il est d’autant moins question <strong>de</strong> considérer ces <strong>de</strong>ux <strong>nouvelle</strong>s comme<br />

<strong>de</strong>ux œuvrettes sans profon<strong>de</strong>ur, qu’elles pourraient refléter le drame <strong>de</strong> la conversion<br />

vécu par Huysmans à cette époque. Chacun connaît le mot inspiré par À<br />

rebours à Barbey d’Aurevilly, selon lequel un tel roman ne laissait d’autre choix à<br />

son auteur que «␣ la bouche d’un pistolet ou les pieds <strong>de</strong> la croix␣ » 7 ; ces <strong>de</strong>ux<br />

<strong>nouvelle</strong>s pourraient illustrer le second terme <strong>de</strong> l’alternative et la tentation du<br />

suici<strong>de</strong>.<br />

Il n’en serait pas moins absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> vouloir montrer à toutes forces que, si le<br />

roman pouvait rendre compte <strong>de</strong> l’itinéraire qui va finalement conduire Huysmans<br />

à la conversion, la <strong>nouvelle</strong> était quant à elle le genre idoine pour rendre<br />

compte d’une forme <strong>de</strong> désespoir. Mais si l’on admet que les <strong>nouvelle</strong>s <strong>de</strong> Huysmans<br />

n’expriment pas <strong>de</strong>s préoccupations ou <strong>de</strong>s obsessions essentiellement différentes<br />

<strong>de</strong> celles dont ses romans ren<strong>de</strong>nt compte, il n’en faut pas moins distinguer<br />

<strong>de</strong>ux espaces d’écriture distincts. Le jugement suivant lequel les <strong>de</strong>ux <strong>nouvelle</strong>s<br />

appartiennent à la «␣ pério<strong>de</strong> naturaliste␣ » <strong>de</strong> Huysmans, plus maladroit<br />

que contestable, met en réalité le doigt sur ce qui les distingue vraiment <strong>de</strong> ses<br />

romans écrits à la même époque. Dans ceux-ci, la réalité matérielle n’est pas seule<br />

prise en compte. Ainsi, le rêve envahit littéralement l’espace textuel d’En ra<strong>de</strong> et<br />

l’évocation du «␣ supra-sensible␣ » vient compléter la <strong>de</strong>scription du mon<strong>de</strong> sensible,<br />

pour reprendre la terminologie <strong>de</strong> Durtal et <strong>de</strong>s Hermies dans Là-bas. Pas <strong>de</strong><br />

place pour le rêve, dans <strong>La</strong> retraite <strong>de</strong> monsieur Bougran, dont les rêves se réduisent<br />

simplement à un projet unique, mortifère, celui <strong>de</strong> recréer le bureau à la maison.<br />

Aucune place pour la vie intérieure et le «␣ supra-sensible␣ » dans Un dilemme, qui<br />

peint un mon<strong>de</strong> essentiellement bourgeois, gouverné par les règles utilisées par<br />

maître Le Ponsart pour sauvegar<strong>de</strong>r la propriété. Ou plutôt, Huysmans ne ménage<br />

dans cette <strong>nouvelle</strong> une ouverture par où le rêve pourrait entrer, que pour<br />

montrer la capacité du personnage à colmater aussitôt cette brèche. Porté à se<br />

laisser emporter par ses fantasmes érotiques, en songe plus encore qu’en actes,<br />

vieillesse oblige, le vieux notaire libidineux est capable <strong>de</strong> les dominer comme il<br />

domine Sophie, en transformant l’acte amoureux en un simple échange économique,<br />

dans lequel il faut avant tout «␣ en avoir pour son argent␣ ». Les digressions<br />

oniriques qui font l’originalité et la richesse d’En ra<strong>de</strong> n’ont pas leur place dans la

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