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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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NICOLE BAJULAZ-FESSLER 349<br />

On notera que c’est le moment où Trompe-la-mort sort <strong>de</strong> son indécise i<strong>de</strong>ntité<br />

: il n’est plus désigné que par un seul patronyme, «␣ Morazki␣ », alors que jusque-là<br />

le barman <strong>de</strong> l’hôtel, relayé par le narrateur, le nommait «␣ Morazki ou<br />

peut-être Morazko 15 ␣ ». Il disparaît doublement et <strong>de</strong> la diégèse, et <strong>de</strong> la fiction qui<br />

se désigne comme telle, qui affiche sa réflexivité. Plus que jamais «␣ être <strong>de</strong> papier␣<br />

», il <strong>de</strong>vient le fantôme <strong>de</strong> lui-même.<br />

Les intentions parodiques sont donc visibles (exhibées) et lisibles dans d’autres<br />

signes, par transparence : ne trouve-t-on pas en relisant le début <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> <strong>de</strong>s<br />

expressions qui redoublent le sens dénoté pour suggérer une activité métatextuelle<br />

plus ou moins intense ? Quelques exemples méritent notre attention.<br />

Qui penserait, en première lecture, à accor<strong>de</strong>r une quelconque importance à ce<br />

passage : «␣ Je ne tardai pas à remarquer […] un personnage assez étrange, même<br />

au regard d’une telle compagnie d’excentriques, pour attirer l’attention du plus distrait<br />

ou du plus blasé 16 ␣ » ? N’est-ce pas inscrire là, outre un sens dénoté, <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong><br />

connivence à l’intention d’un lecteur attentif à l’écriture <strong>de</strong> la fiction ?<br />

Ou bien encore cette autre notation, en apparence tout aussi anodine : le narrateur<br />

s’adressant au barman accepte «␣ <strong>de</strong> lui faire la conversation dans la <strong>langue</strong><br />

<strong>de</strong> Voltaire␣ ». Voilà une façon certes <strong>de</strong> désigner le rayonnement <strong>de</strong> la <strong>langue</strong><br />

<strong>française</strong>, mais ne faut-il pas voir aussi un parti pris d’ironie, comme savait la<br />

pratiquer le grand homme ? Ce trope, on le sait, joue <strong>de</strong> l’ambivalence et permet<br />

<strong>de</strong> dire sans dire.<br />

Dernier indice enfin. Le narrateur se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> s’il n’est pas victime <strong>de</strong><br />

«␣ paramnésie␣ », s’imaginant avoir déjà rencontré le personnage au «␣ nez <strong>de</strong> betterave␣<br />

» et <strong>aux</strong> «␣ oreilles <strong>de</strong> choux␣ » quand ce <strong>de</strong>rnier entre dans le hall <strong>de</strong> l’hôtel.<br />

Mais c’est le dénouement <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> et sa chute qui donneront au lecteur une<br />

impression très forte <strong>de</strong>… déjà lu. Nous aussi, nous sommes atteints <strong>de</strong> paramnésie,<br />

et nous ne pouvons pas ne pas avoir collaboré à cet «␣ effet <strong>de</strong> parodie␣ ». Souvenons-nous<br />

<strong>de</strong> l’avertissement : «␣ Poésie et ironie se conjuguent pour prendre le<br />

lecteur au piège.␣ »<br />

On en déduira que «␣ Trompe-la-mort␣ » est peut-être bien une histoire <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>,<br />

dans laquelle le narrateur fait semblant d’être doublé par son personnage,<br />

alors qu’il maîtrise parfaitement son sujet.<br />

LES (NOUVELLES ?) NOUVELLES DE CYRILLE FLEISCHMAN<br />

Ressortissent <strong>de</strong> la même veine, certaines <strong>nouvelle</strong>s <strong>de</strong> Cyrille Fleischman qui<br />

appartiennent au premier recueil <strong>de</strong> la trilogie Ren<strong>de</strong>z-vous au métro Saint-Paul 17 .<br />

Ces textes, nous dit-on, «␣ illustrent l’esprit et l’humour <strong>de</strong> la tradition ashkénaze␣<br />

». Nous observerons que, dans sa note liminaire, l’auteur s’entoure <strong>de</strong> la<br />

même précaution quant au statut <strong>de</strong>s textes qu’il rassemble. Priant qu’on l’excuse<br />

par avance <strong>de</strong>s éventuelles coquilles, il termine sa présentation ainsi :

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