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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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MYRIAM WATTHÉE-DELMOTTE 167<br />

Le livre que voici fut publié en 184… C’était un début, et on le voit bien. L’auteur,<br />

jeune alors, et <strong>de</strong> goût horriblement aristocratique, cherchait encore la vie dans les<br />

classes <strong>de</strong> la société qui évi<strong>de</strong>mment ne l’ont plus. C’était là qu’il croyait pouvoir<br />

établir la scène <strong>de</strong> plusieurs romans, passionnés et profonds, qu’il rêvait alors ; et<br />

cette illusion <strong>de</strong> romans impossibles produisit L’amour impossible 5 .<br />

À l’époque <strong>de</strong> ce constat, Barbey d’Aurevilly a déjà à son actif l’ensemble <strong>de</strong> ce<br />

qui sera sa production romanesque véritable : Une vieille maîtresse, L’ensorcelée, Le<br />

chevalier Des Touches, et Un prêtre marié. Son expérience éprouvée <strong>de</strong>s techniques<br />

<strong>de</strong> l’écriture romanesque lui dicte sans doute ce verdict peu indulgent pour l’œuvre<br />

<strong>de</strong> jeunesse : «␣ L’amour impossible est à peine un roman, c’est une chronique 6 ␣».<br />

Bien plus tard encore, en 1873, c’est-à-dire au moment <strong>de</strong> l’achèvement <strong>de</strong>s Diaboliques,<br />

dans un article consacré au roman mondain, il s’accuse ouvertement<br />

d’avoir commis une œuvre aussi dénuée d’intérêt, et met encore au premier plan<br />

la notion <strong>de</strong> chronique :<br />

J’ai commencé aussi, dans l’ordre du roman, par une chronique <strong>de</strong> vie parisienne.<br />

Cela s’appelait L’amour impossible et cela était parisien <strong>de</strong> mœurs, <strong>de</strong> langage, <strong>de</strong><br />

corruption raffinée et nauséabon<strong>de</strong>, d’ennui et <strong>de</strong> préciosité 7 .<br />

En un mot, si Barbey se reproche <strong>de</strong> s’être trompé <strong>de</strong> matériau en privilégiant<br />

les intrigues parisiennes, il déplore aussi l’insuffisance <strong>de</strong> la construction narrative.<br />

Le livre qui suit ce ratage littéraire n’est d’ailleurs guère un second roman,<br />

mais un texte court, curieusement structuré en quinze paragraphes numérotés :<br />

<strong>La</strong> bague d’Annibal, dont la formule narrative serait celle d’un conte qui s’adresserait<br />

par le biais <strong>de</strong> l’écriture à une audience virtuelle :<br />

Et je vous ai prise pour mon audience, Madame, comme dit Bossuet, vous, et vous<br />

toute seule, qui me prêteriez votre blanche oreille si je vous en <strong>de</strong>mandais le tuyau ;<br />

mais je n’ai point une telle exigence. Je ne vous imposerai pas la nécessité d’écouter<br />

mon histoire. Prenez-la, laissez-la, oubliez-la ou rêvez-y. Je ne parle pas, j’écris, et<br />

vous resterez libre 8 .<br />

Barbey explicite là ce qui sera sa manière, à savoir l’art du récit rapporté, mais<br />

qui n’a pas encore la structure <strong>de</strong>s «␣ ricochets␣ », car l’auteur n’a pas encore éprouvé<br />

la puissance évocatrice <strong>de</strong>s emboîtements <strong>de</strong> discours et <strong>de</strong> la parole différée. Le<br />

narrateur, ici, occupe la fonction traditionnelle du conteur, celle qu’il occupait<br />

déjà dans Le cachet d’onyx, mais avec une légère différence, car, dans ce premier<br />

texte, le but du récit était <strong>de</strong> modifier l’état d’esprit <strong>de</strong> l’auditrice. <strong>La</strong> <strong>de</strong>rnière<br />

phrase est en effet :<br />

Eh bien, Maria, est-ce qu’à présent vous n’aimez pas Othello ? 9<br />

Dans <strong>La</strong> bague d’Annibal, par contre, le conteur entend principalement agir sur<br />

lui-même :

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