La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LE PERFORMATIF ET LA NOUVELLE
Le personnage («␣ L’exalté␣ » dans Le surveillant) venait ici de terminer sa propre
défense devant un juge fermé à ses arguments, et on assiste alors au résultat négatif
de sa démarche.
On pourrait même se demander s’il n’y aurait pas des nouvelles qui relèveraient
de chacune de ces catégories d’actes discursifs. Déjà la théorie littéraire a
montré que de nombreux genres s’identifiaient par des actes illocutoires de ce
type en reprenant les divisions de Searle, voisines de celles d’Austin : aux assertifs
où nous disons à autrui comment sont les choses, correspondraient des genres
comme le récit, le témoignage, le compte rendu ; les directifs, où nous essayons
de faire faire des choses à autrui, renverraient à la prière ou à la comédie ; avec les
promissifs par lesquels nous nous engageons à faire des choses, on pense au serment
par exemple ; dans les expressifs où nous exprimons nos sentiments et nos
attitudes, on classerait le poème d’amour notamment ; quant aux déclaratifs où
nous provoquons un changement dans le monde par nos énonciations, on pourrait
y regrouper la formule magique, le mauvais sort, le manifeste, la déclaration
politique et peut-être la confession et l’aveu.
Bref il y a là une porte d’entrée, parmi d’autres, qui me paraît intéressante à
emprunter pour éclairer la complexité du genre et celle de la littérature. Quoi
qu’il en soit, comme la nouvelle me paraît davantage gouvernée par de forts
penchants performatifs, comme l’économie conceptuelle du performatif régit son
écriture, elle est susceptible non pas de vérité ou de fausseté, comme je l’ai dit,
mais bien de réussite ou d’échec. Cette dimension la distingue aussi du fait divers,
duquel on la rapproche souvent, qui, lui, se soucie plus de la vérité. Un fait
divers ne réussit pas ou n’échoue pas. La nouvelle, oui.
Mais pour circonscrire le genre, bien d’autres critères devraient intervenir.
L’énonciation, par exemple, avec les questions qu’elle soulève sur le statut réel ou
fictif de l’énonciateur (ce qui distingue à nouveau la nouvelle du fait divers), sur
le statut de l’acte d’énonciation, oral ou écrit (le conte, duquel on rapproche
souvent la nouvelle, s’associant à une tradition orale, la nouvelle étant essentiellement
écrite), statut sérieux ou fictionnel (le plaidoyer se démarque, sur ce plan,
du monologue dramatique d’une nouvelle par exemple, comme dans «␣ L’exalté␣ »,
nouvelle du Surveillant). L’aspect sémantique contribue aussi à la définition de
n’importe quel genre et est depuis toujours à la base de la division classique entre
tragédie et comédie (action noble et action commune). Ces traits de contenu
déterminent de même des subdivisions génériques de la nouvelle : la nouvelle
fantastique, érotique, psychologique, etc. L’ensemble des éléments formels jouent
également un rôle important : il y a sans doute à dégager des spécifités
narratologiques ou encore stylistiques (un des facteurs de l’opposition actuelle
entre grande littérature et littérature populaire). Les instances de réception interviennent
enfin dans les déterminations et les distinctions génériques : un texte
peut être conçu par un auteur comme nouvelle et publié par un éditeur comme