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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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MARCEL AYMÉ, OU L’ART D’ABRÉGER<br />

<strong>aux</strong> <strong>nouvelle</strong>s <strong>de</strong> ses contemporains ; <strong>de</strong>s constantes qui nous permettent, en<br />

somme, <strong>de</strong> cerner son art d’abréger.<br />

Homme <strong>de</strong> peu <strong>de</strong> mots, Marcel Aymé l’est aussi à l’égard <strong>de</strong> la littérature, et si<br />

parfois il hasar<strong>de</strong> quelques opinions sur sa poétique, c’est presque toujours sous<br />

la protection <strong>de</strong> l’ironie moqueuse qui lui était propre. Par rapport au récit bref,<br />

un <strong>de</strong>s rares témoignages non humoristiques que l’on puisse évoquer est le suivant :<br />

J’avais été tenté par la forme dialoguée du récit. Il existe d’ailleurs une certaine similitu<strong>de</strong><br />

entre la pièce <strong>de</strong> théâtre et le conte qui exigent tous les <strong>de</strong>ux une certaine<br />

concentration <strong>de</strong>s moyens mis en œuvre, le même renoncement à <strong>de</strong>s divagations<br />

qui donnent tant <strong>de</strong> plaisir à écrire un roman 3 .<br />

Le mot «␣ conte␣ » désignant en l’occurrence le récit court en général, une telle<br />

remarque sur la brièveté inhérente au genre peut sembler à première vue banale.<br />

Cependant, il convient <strong>de</strong> rappeler que les <strong>nouvelle</strong>s d’Aymé s’intègrent dans ce<br />

que René Go<strong>de</strong>nne a désigné comme «␣ <strong>nouvelle</strong>-histoire 4 ␣ », et qu’une fois dans<br />

cette catégorie, elles développent une intrigue particulièrement longue : 61␣ %<br />

<strong>de</strong>s histoires ont une durée supérieure à une semaine ; 47␣ % recouvrent une pério<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> plus d’un mois ; 20␣ % résument la durée d’un an et même plus. Comme<br />

nous l’avons montré dans <strong>de</strong>s recherches précé<strong>de</strong>ntes 5 , <strong>de</strong> tels pourcentages amènent<br />

l’auteur à appliquer une stratégie systématique <strong>de</strong> réduction événementielle<br />

qui le distingue <strong>de</strong>s autres nouvellistes <strong>de</strong> sa génération et qui apparaît dans un<br />

emploi profus <strong>de</strong> ce que Gérard Genette appelle le sommaire, l’ellipse et le discours<br />

itératif 6 . Cela dit, la <strong>nouvelle</strong> selon Marcel Aymé est beaucoup plus qu’un<br />

concentré <strong>de</strong> roman, et toutes fréquentes qu’elles soient, ces techniques <strong>de</strong> con<strong>de</strong>nsation<br />

ne constituent que le support, si l’on veut, obligé, d’une poétique spécifique<br />

<strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> qui agglutine <strong>de</strong>s aspects beaucoup plus intéressants.<br />

Le premier est, à coup sûr, cet imaginaire inclassable qui, hésitant entre le<br />

fantastique pur et le merveilleux, apparaît presque dans la moitié <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s<br />

et très rarement dans les romans, <strong>de</strong>venant par là en quelque sorte la marque<br />

d’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> celles-là. Dans les histoires d’Aymé, les personnages possè<strong>de</strong>nt souvent<br />

un trait extraordinaire ou surnaturel qui les distingue du reste <strong>de</strong>s hommes :<br />

c’est le cas du nain qui commence à grandir à l’âge <strong>de</strong> trente-cinq ans 7 ; <strong>de</strong> Martin,<br />

qui n’existe qu’un jour sur <strong>de</strong>ux 8 ; <strong>de</strong> Dutilleul, le fonctionnaire capable <strong>de</strong> traverser<br />

les murs 9 ; <strong>de</strong> Sabine, une femme qui possè<strong>de</strong> le don d’ubiquité 10 ; <strong>de</strong> <strong>La</strong>fleur,<br />

qui peint <strong>de</strong>s table<strong>aux</strong> nourrissants 11 ; etc. Comme Aymé lui-même l’avoue dans<br />

son article «␣ Les surprises du fantastique␣ », l’invention <strong>de</strong> ces personnages ne fait<br />

que répondre à son goût en tant que <strong>de</strong>stinataire :<br />

[…] que <strong>de</strong> fois, au théâtre, au cinéma, ai-je souhaité voir sur la scène ou sur l’écran<br />

surgir l’événement insolite qui bouleverserait tout à coup les données initiales ; l’irruption<br />

du fantastique dans le domaine <strong>de</strong> la réalité étant, à cet égard, l’inattendu le<br />

plus satisfaisant. Par exemple, il ne me déplairait pas qu’au cours d’un film sérieux,

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