La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

440 LA STATISTIQUE LEXICALE AU SECOURS D’UNE DÉFINITION DE LA NOUVELLE
Il y a sans doute deux niveaux d’opposition à distinguer dans le graphique.
Tout d’abord, les romans de Michel Lambert semblent se distinguer de ses nouvelles
par un vocabulaire moins étendu et un nombre d’hapax plus limité. Ensuite,
à un second plan d’analyse, on peut remarquer que les deux recueils de
nouvelles sont très différents l’un de l’autre. Le recueil Les préférés possède un
lexique plus «␣ sobre␣ » que le second recueil, qui, lui, semble avoir un vocabulaire
particulièrement foisonnant.
L’analyse effectuée, qui se base sur la prudente méthode de Charles Muller,
nous amène à conclure que la richesse lexicale des nouvelles est clairement supérieure
à celle des romans. Il ne faut cependant pas se méprendre sur la signification
de cette observation en réduisant celle-ci à une naïve (et fautive) dichotomie,
faisant apparaître la nouvelle comme un genre «␣ riche␣ » et le roman comme
un genre «␣ pauvre␣ ». Nous renvoyons ici aux ouvrages spécialisés qui traitent de
la richesse lexicale.
Cette fois encore, il semble possible d’établir un rapport entre les résultats obtenus
dans cette enquête et la théorie du genre de la nouvelle. C’est sans doute de
la notion de «␣ perfection 31 ␣ », avancée par Vincent Engel comme critère de base
pour une définition de la nouvelle, que la richesse lexicale est le plus proche.
Tout doit porter, dans la nouvelle : chaque phrase, chaque situation, chaque paragraphe.
Le moindre mot maladroit saute aux yeux. Perfection d’écriture, mais perfection
de lecture aussi : on ne peut lire une nouvelle distraitement 32 .
À titre d’hypothèse, nous proposons une approche psycholinguistique qui se
veut être une piste de réflexion sur les implications possibles du phénomène de
la richesse lexicale.
POUR UNE APPROCHE PSYCHOLINGUISTIQUE
C’est à la psycholinguistique que nous souhaiterions rattacher la problématique
de la richesse lexicale. Il serait intéressant d’étudier les effets au niveau psychologique
et cognitif de la lecture de textes courts dont la richesse lexicale est
élevée. Ne pourrait-on pas imaginer que la variable nombre de mots différents peut,
d’une certaine manière, être «␣ éprouvée␣ » par le lecteur (rappelons «␣ qu’on ne
peut pas lire une nouvelle distraitement␣ »…). Il revient bien sûr aux
psycholinguistes de vérifier cette hypothèse et de l’expliquer, le cas échéant.
Mais on remarquera que ce n’est pas la première fois que la psycholinguistique
est sollicitée pour répondre à des questions portant sur l’étendue du vocabulaire
dans le domaine de la statistique linguistique. Zipf lui-même a proposé une interprétation
incriminant le fonctionnement du système cognitif humain pour tenter
d’expliquer la loi qu’il avait établie : fr =␣ c (le produit de la fréquence et du
rang est une constante 33 ). Il émit l’hypothèse que