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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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THIERRY OZWALD 507<br />

Détail intéressant, les personnages mériméens ont fréquemment à fredonner<br />

quelque air d’opéra, ils assistent ou ont assisté à quelque grand-messe mondaine<br />

à Paris : Max <strong>de</strong> Salligny (dans A.␣ Guillot) évoque une «␣ prima donna qui pesait<br />

150 kilogrammes, et une seconda donna qui avait la bouche comme un four et<br />

un nez comme la tour du Liban␣ », tandis que le docteur craint <strong>de</strong> manquer le<br />

premier acte <strong>de</strong> l’Otello <strong>de</strong> Rossini ; Julie dans <strong>La</strong> double méprise entreprend d’étudier<br />

le duo <strong>de</strong> Maometto, du même Rossini 12 …<br />

Plus troublant encore : Mérimée écrit en juillet␣ 1829 une <strong>nouvelle</strong> qui raconte<br />

l’hallucination d’un vieux roi <strong>de</strong> Suè<strong>de</strong> qui, après avoir perdu son épouse Ulrique-<br />

Éléonore, assiste certain soir au spectacle fantastique d’une cour <strong>de</strong> justice mystérieusement<br />

rassemblée dans une <strong>de</strong>s salles <strong>de</strong> son palais <strong>aux</strong> fins d’une exécution<br />

sanglante : sur le trône siège un cadavre épouvantable, <strong>de</strong> «␣ sang royal␣ » au <strong>de</strong>meurant,<br />

un jeune homme est ensuite décapité en sa présence. Cette vision<br />

prémonitoire est une sorte <strong>de</strong> prophétie : c’est cinq règnes plus tard que doit<br />

s’accomplir la malédiction qui frappera la Suè<strong>de</strong> et le roi Gustave III sera en effet<br />

mortellement blessé en 1792, au cours d’un bal masqué, par un jeune homme<br />

enseigne <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s, Ankarstroem, qui sera lui-même mis à mort. Or Verdi, dans<br />

Le bal masqué justement, reprend le sujet à sa façon en 1859 (c’est en réalité<br />

F.␣ Maria Piave qui refond le livret <strong>de</strong> Scribe – 1832 – primitivement <strong>de</strong>stiné à<br />

Rossini puis à un Gustave III d’Auber qui n’a pas vu le jour) : l’argument est subtilement<br />

modifié ; certes, comme l’indique le titre, c’est la mort <strong>de</strong> Gustave III lors<br />

du bal masqué qui constitue le point d’orgue <strong>de</strong> l’ouvrage, mais Ankarstroem est<br />

ici un ami du roi et c’est par jalousie (le roi en effet témoigne à la femme <strong>de</strong> son<br />

sujet <strong>de</strong>s marques appuyées <strong>de</strong> reconnaissance) qu’il est poussé au crime. <strong>La</strong> confrontation<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux versions est <strong>de</strong>s plus intéressantes car celles-ci se répon<strong>de</strong>nt,<br />

entretiennent une sorte <strong>de</strong> dialogue souterrain : l’angle d’attaque choisi par Verdi<br />

nous incite à ne pas dissocier l’aventure individuelle du monarque, du <strong>de</strong>venir<br />

historique <strong>de</strong> son pays ; le livret en l’occurrence sert <strong>de</strong> contrepoint à la <strong>nouvelle</strong><br />

: c’est parce qu’il se sent confusément responsable <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> sa femme<br />

que le Charles XI <strong>de</strong> Mérimée est en proie à ce cauchemar, et le règne <strong>de</strong> la violence<br />

civile qui s’inaugure alors pour la Suè<strong>de</strong> est intimement lié à la violence,<br />

pernicieuse et individuelle celle-là, qui régit les rapports intra-communautaires<br />

ou conjug<strong>aux</strong> et se traduit, entre autres, par la discor<strong>de</strong> et l’adultère 13 .<br />

<strong>La</strong> proximité <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> et du livret d’opéra est donc évi<strong>de</strong>nte, à tel point<br />

que tout «␣ avant-texte␣ » narratif (c’est du moins là notre hypothèse) servant <strong>de</strong><br />

point <strong>de</strong> départ à un livret d’opéra, doit nécessairement et préalablement se soumettre<br />

à la ré-écriture sous forme <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>.<br />

Voyons-le précisément en mettant à l’épreuve <strong>de</strong>ux genres qui lui sont contigus<br />

et qui donc se prêtent tout particulièrement à cette transcription. Le conte tout<br />

d’abord avec <strong>La</strong> Barbe bleue <strong>de</strong> Perrault 14 . Paul Dukas déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> faire un opéra <strong>de</strong><br />

ce texte bien connu, mais c’est, immédiatement, pour le transformer : Ariane et<br />

Barbe-Bleue (1907) imbrique le conte <strong>de</strong> Perrault et le mythe grec, l’épouse <strong>de</strong>

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