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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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ALICIA PIQUER DESVAUX 217<br />

Nous disions que «␣ Quelle âme divine␣ » pourrait nous faire sourire par sa naïveté,<br />

si ce n’était que nous percevons l’intention moins innocente <strong>de</strong> l’écrivain<br />

désormais adulte, qui se débat contre ce talent naturel qui lui rend tellement<br />

facile le fait d’inventer <strong>de</strong>s histoires. D’autre part, ceci nous fait penser à la proximité<br />

existant entre le conte et la <strong>nouvelle</strong>. Pour Aragon, il ne s’agit pas d’une<br />

régression romantique vers <strong>de</strong>s formes folkloriques primitives ou légendaires, mais<br />

<strong>de</strong>s manières possibles <strong>de</strong> souligner l’emprise du fabuleux sur la réalité du mon<strong>de</strong>.<br />

De nombreux personnages, membres d’une même famille, partent pour un long<br />

voyage qui les mène <strong>de</strong> Paris à Saint-Pétersbourg, puis doivent traverser la Sibérie<br />

afin <strong>de</strong> délivrer <strong>de</strong> l’exil le prince Serge Yorparoff (nous lisons dans Le mentir-vrai<br />

que ces aventures avaient été toutes inspirées par la lecture d’Anna Karénine).<br />

Conçu comme une suite <strong>de</strong> scènes dialoguées, le tout <strong>de</strong>vient une véritable danse<br />

<strong>de</strong> propos sur rien puisque rien n’est expliqué vraiment. Le lecteur peut simplement<br />

rêver d’une histoire d’amour fou… qui, pour une fois, aurait une fin heureuse,<br />

car, rentrée <strong>de</strong> son long voyage, Madame reprend sa vie à Paris, à côté <strong>de</strong><br />

son mari, <strong>de</strong> ses enfants, avec le prince naturellement… et «␣ tout le mon<strong>de</strong> est<br />

heureux␣ ».<br />

Mais ce côté merveilleux du conte n’a plus <strong>de</strong> suite, les autres récits d’Aragon<br />

sont <strong>de</strong> plus en plus saugrenus et cruels. Parmi ceux-ci, «␣ <strong>La</strong> <strong>de</strong>moiselle <strong>aux</strong> principes␣<br />

» (dédié à André Gi<strong>de</strong>) est présenté comme «␣ le premier pas adulte dans la<br />

fiction␣ » et, paradoxalement, c’est la <strong>nouvelle</strong> qui reproduit le mieux l’atmosphère,<br />

le sujet du fantastique traditionnel. C’est une histoire d’amour vouée à la<br />

catastrophe. Denis fait semblant d’aimer Céline, jeune femme rencontrée par<br />

hasard : «␣ <strong>La</strong> marchan<strong>de</strong> offrait <strong>de</strong>s violettes : Denis les acheta, puis, embarrassé,<br />

les tendit à Céline qui fut la première femme venue␣ ». Elle <strong>de</strong>vient la maîtresse et<br />

la victime <strong>de</strong> ce dandy en quête d’inspiration pour les scénarios qu’il doit écrire.<br />

Romantique et innocente, Céline, «␣ qui croyait à l’immortalité <strong>de</strong> l’âme et l’omnipotence<br />

<strong>de</strong> l’amour␣ », subit «␣ l’effet <strong>de</strong> l’incompréhensible␣ », car son amant<br />

découvre «␣ un nouveau tragique… qu’il était soucieux d’éprouver sur Céline avant<br />

<strong>de</strong> le porter au théâtre␣ ». Enfin, il pousse Céline à l’épouvante : «␣ elle ne pouvait<br />

bouger, ses pieds étaient froids, sa tête brûlante, la détente nerveuse ne se faisait<br />

pas, elle eût voulu crier, pleurer␣ », en ménageant un décor qu’il transforme pour<br />

qu’elle éprouve <strong>de</strong>s visions monstrueuses. Insensible, Denis aime évaluer l’effet<br />

<strong>de</strong> l’incompréhensible : les actes sans explication valable, les paroles sans possible<br />

interprétation, les silences… Céline est atteinte dans son équilibre, dans ses<br />

principes, prise d’un malaise qui s’accentue au moment où elle aperçoit le décor<br />

(chaque siège lui opposait un être vermiculaire) ; interdite <strong>de</strong>vant ce mon<strong>de</strong> qui<br />

obéit à <strong>de</strong>s lois inconnues, invraisemblables. Céline se suici<strong>de</strong> «␣ là où les murs ne<br />

sont pas <strong>de</strong>s murs, ne servent plus à s’asseoir, mais à porter d’incroyables larves␣ ».<br />

<strong>La</strong> chute <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> (7 pages) ridiculise à son tour ce dandy par son excès,<br />

justement quand il déclare : «␣ Céline était une fille sensible, mais elle tenait trop<br />

à ses idées et manquait <strong>de</strong> jugement. Les femmes sont <strong>de</strong>s êtres inférieurs␣ ».

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