La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

LA VOIX DES CONTES
Le mot prononcé a curieusement perdu de son poids dans notre temps où une
montagne de papiers nous encercle et nous assure dans toutes nos activités. Rares
sont les occasions où l’on peut compter sur ce qui était oralement convenu ;
mais, lorsqu’elles existent, elles prouvent que les mots ne s’envolent pas encore
tous sous les viaducs des autoroutes de l’information. «␣ C’est une idée des hantises
de la Renaissance que cette idée du contenant sans contenu␣ », remarque Claude-
Gilbert Dubois 1 . C’est à partir de l’époque renaissante que l’univers intelligible
devient compliqué, que de nouveaux mondes sont découverts avec leurs parlers
autonomes. Le mot perd sa signification, l’avènement du bel ordre du Messie est
repoussé par la menace de la nouvelle Babel des langues nationales barbares qui
revendiquent indépendance et autorité. La dégradation du rôle de la promesse
orale, la nullité de l’engagement ne sont théorisées que dans des circonstances de
nécessité ou de menaces. Les traités politiques resteront le forum où la parole
donnée conserve un certain rôle 2 . Lope de Vega parle déjà de la mode aristocratique
de ne pas tenir parole, La Rochefoucauld se résigne au fait que «␣ nous promettons
selon nos espérances, et nous tenons selon nos craintes 3 ␣».
Dans cette relecture parallèle de plusieurs contes et nouvelles, je me laisserai
guider par certains éléments organisateurs qui me semblent être singulièrement
destinés à apparaître conjointement, et dont nous percevons vaguement la
congruence dans notre for intérieur. Les éléments-motifs délibérément choisis :
la parole donnée, comme une sorte d’engagement, qu’il soit tacite ou ouvert, et la
marche des revenants, comme l’image d’un cortège fantomatique, appellent souvent
– trop souvent pour que l’on n’y prête pas attention – des éléments comme
l’atemporalité, un interdit tactile, une visualité riche opposée aux sonorités réduites
et codifiées, et, enfin, la victoire sur la mort ou, au contraire, l’inertie existentielle,
face à la mort. Ces éléments, qui sont en corrélation et ne se prêtent pas
à un lien de cause à effet, forment, à mon avis, une isotopie dont les boucles sont
tissées par une conception bigarrée du péché.
Les espérances, les craintes, les intérêts, la soif de la renommée ou – et ce sont
les deux cas qui figurent dans les œuvres examinées – la colère et l’imprudence
nous font facilement dire des mots mensongers ou, du moins, irréfléchis. Le verbe
prononcé a-t-il toujours effet de promesse, d’accord, de contrat à l’époque du
«␣ hâbleur universel Panurge 4 ␣ » et plus tard, quand le «␣ décodage mimétique du
sacré est contemporain du monde désenchanté où nous plongeons 5 ␣ » ? Est-ce un
péché de parler en l’air 6 ? Les quelques exemples sur lesquels je souhaite me pencher
prouvent que si la notion de péché n’est pas toujours élaborée ou cristallisée,
la punition, elle, ne tarde jamais.