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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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L’ÉVOLUTION DU FANTASTIQUE DANS LES NOUVELLES D’ARAGON<br />

<strong>de</strong>venir femme, équipage, soleil… il se transforme dans une belle image qui nous<br />

rappelle Apollinaire : «␣ Dans la lumière <strong>de</strong> l’Europe mon corps traîne avec les<br />

trains <strong>de</strong> banlieue, le cri <strong>de</strong>s repasseurs <strong>de</strong> coute<strong>aux</strong> et la douce o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la laine␣ ».<br />

Le lyrisme ne cache pas la métaphore, <strong>de</strong>gré second <strong>de</strong> sa transformation. C’est à<br />

son tour <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir papillon, évocation sans doute fantastique <strong>de</strong> tout le processus<br />

vital que subit notre corps, ce cheminement naturel vers la mort ou le réveil<br />

<strong>de</strong> ce songe précurseur, qui n’est déjà qu’une petite mort qui remplit nos nuits. Se<br />

réveillant en sursautant, il croit encore apercevoir la figure du Démon… c’est<br />

Alfred qui affirme qu’effectivement le démon est parti «␣ en emportant votre<br />

corps␣ ».<br />

Loin <strong>de</strong> constituer une démythification, la <strong>nouvelle</strong> «␣ Paris la nuit␣ » nous inquiète.<br />

Après cet étrange dédoublement <strong>de</strong> son Moi, le protagoniste, privé <strong>de</strong> son<br />

propre corps, peut-il être vraiment en vie ? Ou s’agit-il simplement d’un rêve fou<br />

produit par l’ivresse d’un poète couche-tard qui aime à traîner la nuit dans les<br />

bistrots ? Paradoxalement, cette <strong>nouvelle</strong> confirme une obsession thématique chez<br />

l’écrivain, lequel parvient à donner, dans chaque cas, une forme d’expression<br />

adéquate, toujours à partir d’un glissement progressif du merveilleux vers le fantastique,<br />

toujours moyennant une gradation dans l’emploi <strong>de</strong> l’humour et <strong>de</strong><br />

l’absur<strong>de</strong> ou <strong>de</strong> l’insolite. De même, par excès ou par défaut, l’attente ou le seuil<br />

<strong>de</strong> prévisibilité <strong>de</strong> lecture sont toujours détournés : «␣ Madame à sa tour monte␣ »<br />

contient, dans le portrait <strong>de</strong> Matisse, tous les éléments pour montrer les ravages<br />

<strong>de</strong> la passion, mais rien ne se passe 12 , tandis que l’accumulation d’éléments (dédoublement<br />

du Moi, vampirisme, métamorphoses, folie, songe…) transforme grossièrement<br />

«␣ Les paravents␣ » en satire.<br />

Le recueil du Libertinage offre donc au lecteur la possibilité <strong>de</strong> subir la violence<br />

<strong>de</strong>s crises qui secouent la <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong>s protagonistes, pris d’un malaise imperceptible<br />

et diffus, toujours latent, mais qui bascule du persiflage vers le paroxysme<br />

du fantastique.<br />

C’est dans Le mentir-vrai qu’Aragon, délivré <strong>de</strong> tous les préjugés liés <strong>aux</strong> mouvements<br />

littéraires, nous montre le processus <strong>de</strong> sa création, nous livre les clés <strong>de</strong><br />

son esthétique avec une gran<strong>de</strong> clarté. De même que dans Je n’ai jamais appris à<br />

écrire ou Les incipit, l’écrivain insiste sur les mécanismes <strong>de</strong> son inspiration 13 .<br />

Aragon évoque ici comment la vie la plus banale peut prendre à certains moments,<br />

par le hasard <strong>de</strong>s circonstances, un sens tantôt absur<strong>de</strong>, tantôt extraordinaire<br />

; ou bien comment la fiction viendra boucher quelque trou, quelque ellipse<br />

<strong>de</strong> notre mémoire, rendra le chaînon pour la compréhension logique <strong>de</strong>s événements<br />

; ou encore comment l’individu s’inscrit dans un espace collectif, social,<br />

historique qui le conforme ou le déforme. Pour ces <strong>nouvelle</strong>s, il va s’abandonner<br />

au «␣ réalisme␣ » : «␣ mariage <strong>de</strong> cette pensée, qui est <strong>de</strong> moi-même et du mon<strong>de</strong><br />

extérieur␣ », comme il l’annonçait déjà dans Le libertinage. Le recueil nous offre<br />

<strong>de</strong>s récits très différents 14 quoique seulement quelques-uns nous transmettent<br />

cette inquiétu<strong>de</strong> qui fon<strong>de</strong> le récit fantastique.

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