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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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MADELEINE HAGE 297<br />

JACQUELINE HARPMAN ET<br />

LE BONHEUR DANS LE CRIME<br />

D’UN GENRE À L’AUTRE ?<br />

Dans sa fiction, Jacqueline Harpman a toujours revendiqué hautement<br />

l’intertextualité. Qu’elle emprunte à <strong>de</strong>s récits légendaires, historiques, mythiques,<br />

(comme dans les <strong>nouvelle</strong>s <strong>de</strong> <strong>La</strong> lucarne), ou <strong>de</strong>s textes canoniques (comme<br />

dans Orlanda 1 ), Harpman utilise l’intertextualité pour ouvrir un nouvel espace <strong>de</strong><br />

lecture, et en tire fréquemment <strong>de</strong>s effets parodiques. Les textes anciens lui servent<br />

<strong>de</strong> point <strong>de</strong> départ thématique, <strong>de</strong> chambre d’écho à l’intérieur <strong>de</strong> laquelle<br />

ses propres textes trouvent leur résonance, et parfois même lui offrent un schéma<br />

formel dont elle s’inspire : c’est le cas du «␣ Bonheur dans le crime 2 ␣».<br />

Le titre <strong>de</strong> ce roman <strong>de</strong> 1993 est emprunté à une <strong>nouvelle</strong> <strong>de</strong> Barbey d’Aurevilly<br />

publiée en 1874 et qui fait partie du recueil <strong>de</strong>s Diaboliques. L’emprunt et le<br />

thème général sont soulignés par un exergue : «␣ Quand le bonheur est continu,<br />

c’est déjà une surprise ; mais ce bonheur dans le crime, c’est une stupéfaction<br />

[…] 3 ». Divers motifs, celui du couple androgyne, <strong>de</strong> la fascination, <strong>de</strong> l’interdit et<br />

sa transgression, et du secret dévoilé, confirment la filiation entre ces <strong>de</strong>ux textes,<br />

sans que l’on puisse parler d’une adaptation, tout au plus d’une réécriture.<br />

Mais réécrire une <strong>nouvelle</strong> <strong>de</strong> 47 pages en un roman <strong>de</strong> 251 pages implique une<br />

large part <strong>de</strong> création. On notera parmi les intéressantes interprétations la<br />

littéralisation d’une donnée <strong>de</strong> la version <strong>de</strong> Barbey d’Aurevilly où le narrateur<br />

était mé<strong>de</strong>cin <strong>de</strong> son état. Barbey lui faisait tenir ce propos :<br />

Le mé<strong>de</strong>cin est le confesseur <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes […] – Il a remplacé le prêtre, Monsieur,<br />

et il est obligé au secret <strong>de</strong> la confession, comme le prêtre… 4<br />

Dans le roman <strong>de</strong> J.␣ Harpman, le narrateur conjugue les <strong>de</strong>ux fonctions, étant<br />

prêtre et mé<strong>de</strong>cin. Outre que ce détail rend plus vraisemblable son rôle<br />

intradiégétique, il accentue l’isotopie <strong>de</strong> la transgression en rendant le prêtremé<strong>de</strong>cin<br />

triplement coupable <strong>de</strong> transgression : non seulement il va dévoiler <strong>de</strong>s<br />

secrets <strong>aux</strong>quels sa double fonction l’astreint, mais il entretient avec le narrataire<br />

une relation homoérotique. Ainsi, dans le roman <strong>de</strong> Harpman, dont le goût malicieux<br />

pour la provocation s’avère déjà dans l’emprunt du titre, les figures <strong>de</strong><br />

l’Interdit sont-elles surdéterminées.<br />

À <strong>de</strong>s emprunts <strong>de</strong> fond vient s’ajouter une mise en scène narrative qui respecte<br />

globalement celle du nouvelliste : un narrateur, ému par la vue d’un lieu et/<br />

ou <strong>de</strong> personnages qu’il reconnaît, entreprend le récit d’événements qui appartiennent<br />

au passé. Mais cette mise en scène courante dans la <strong>nouvelle</strong> ne l’est pas<br />

dans le roman, ce qui suffirait à nous interroger sur la codification <strong>de</strong>s genres. Par

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