03.07.2013 Views

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

JEAN-PHILIPPE IMBERT 323<br />

qu’il y a <strong>de</strong>ux premiers mensonges, mais ces mensonges sont-ils les livres euxmêmes,<br />

leur contenu, ou les <strong>de</strong>ux ? Peu importe. Le fait <strong>de</strong> dire importe plus que<br />

la raison <strong>de</strong> s’exprimer. Agota Kristof et les narrateurs s’expriment faute <strong>de</strong> mieux,<br />

mais aussi car ils ne peuvent s’en empêcher. Ils parlent pour ne pas tout dire, tout<br />

comme le triptyque présente différents éléments constitutifs d’un tout, afin <strong>de</strong><br />

ne pas tout exprimer. De plus, le triptyque est tout d’abord un objet pictural, et le<br />

monstrueux se conjugue plutôt sur le mo<strong>de</strong> du voir, comme l’indique la contiguïté<br />

étymologique entre «␣ montrer␣ » et «␣ monstre␣ ». <strong>La</strong> partie la plus importante<br />

du triptyque est la partie centrale : <strong>La</strong> preuve, dans notre cas, qui semble être<br />

assertion d’une réalité cachée. Chaque volet du triptyque contient <strong>de</strong>s table<strong>aux</strong><br />

fermés qui racontent chacun une histoire, en tant qu’unité picturale interne,<br />

mais qui peuvent créer diverses histoires par le biais <strong>de</strong> diverses combinaisons, et<br />

ces table<strong>aux</strong> correspon<strong>de</strong>nt <strong>aux</strong> micro-récits. De la même manière que chaque<br />

tableau évolue sur un fond <strong>de</strong> ciel neutre reliant chaque scène, les micro-récits<br />

sont reliés par les blancs <strong>de</strong> pages qui envahissent les trois livres. De plus, les<br />

volets <strong>de</strong> droite et <strong>de</strong> gauche servent autant à cacher le tableau central, une fois<br />

les volets rabattus, qu’à le montrer, et la possibilité d’appréhension du tableau<br />

central dépend <strong>de</strong> l’ouverture ou <strong>de</strong> la fermeture <strong>de</strong>s volets latér<strong>aux</strong>, tout comme<br />

<strong>La</strong> preuve a une signification différente, selon que le lecteur approche les trois<br />

livres par le «␣ premier␣ » ou le «␣ troisième␣ ». En fait, le jeu <strong>de</strong> relations <strong>nouvelle</strong>srecueil<br />

est bien plus présent dans l’ordre <strong>de</strong> lecture <strong>de</strong>s trois livres, que dans la<br />

structure interne à chaque livre qui est en fait une suite <strong>de</strong> récits, dans le meilleur<br />

<strong>de</strong>s cas, même si ce terme implique une certaine linéarité, à laquelle nul ne peut<br />

échapper.<br />

Une autre raison pour se tourner vers ce terme rési<strong>de</strong> dans le fait que le triptyque<br />

est en général une production au contenu et à valeur sacrés, qui consiste en<br />

un déclencheur <strong>de</strong> processus herméneutique. Et c’est <strong>de</strong> cette possibilité <strong>de</strong> lectures<br />

plurielles <strong>de</strong> nos origines que naît le monstrueux, qui va toujours éluci<strong>de</strong>r<br />

quelque chose d’indicible par rapport à notre être au mon<strong>de</strong>.<br />

Entre maintenant dans l’équation un autre genre satellite <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> : le<br />

conte. Il faut gar<strong>de</strong>r à l’esprit les rapports <strong>de</strong> contiguïté existant entre la <strong>nouvelle</strong><br />

et le conte, comme l’indique Thierry Ozwald :<br />

[<strong>La</strong>] <strong>nouvelle</strong> naît et procè<strong>de</strong> du conte, qui peu à peu, mais au prix <strong>de</strong> bien <strong>de</strong>s<br />

hésitations, <strong>de</strong>s rétrogradations, <strong>de</strong>s réitérations, accouche laborieusement d’une forme<br />

neuve qu’il portait comme un corps embryonnaire 10 .<br />

Les caractéristiques du conte, en tant que porte ouverte sur le monstrueux, ne<br />

sont plus à démontrer, et dans le cas <strong>de</strong> ce triptyque, divers éléments constitutifs<br />

du genre du conte se présentent dès le début du Grand cahier. Écrite dans un<br />

langage très simple, l’histoire nous installe dans le berceau cauchemar<strong>de</strong>sque d’un<br />

mon<strong>de</strong> perçu par <strong>de</strong>s enfants, d’un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> souffrances atroces et <strong>de</strong> rêves<br />

détruits. D’emblée, <strong>de</strong>s situations archétypales se présentent au lecteur averti,

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!