La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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L’ÉCRITURE DES NOUVELLES RADIOPHONIQUES
le récepteur ne se consacre que rarement entièrement, comme il s’installerait
pour lire ou pour regarder la télévision. Une étude canadienne 13 indique ainsi
que 86␣ % des auditeurs écoutent la radio en faisant autre chose. Ce chiffre permet
sans doute d’en expliquer d’autres. Notamment celui-ci : «␣ lorsqu’une émission
dépasse dix minutes, l’auditeur ne se rappelle plus qu’une part plus ou moins
faible de ce qu’il a entendu 14 ␣ ». Ou encore : «␣ la longueur maximale d’une phrase
assimilable [par un auditeur] moyen se situ[e] aux alentours de 15 mots 15 ␣».
LES NORMES DE GADDA
L’auditoire de la radio est par nature non captif, happé par un ensemble d’autres
activités. Il suffit pour s’en convaincre de considérer les endroits où sont communément
disposés les postes de radio : voiture, bureau, ateliers mais aussi cuisine,
salle de bain, chambre à coucher 16 … Plus encore qu’un média de compagnie, la
radio est un média de l’intimité.
L’un des premiers à l’avoir bien perçu est Carlo Emilio Gadda, l’auteur italien
qui, même si on l’ignore généralement, a travaillé quatre ans à la RAI durant les
années ’50. Sans grande conviction, il est vrai, si ce n’est alimentaire. Gadda
assumait à la RAI-radio des fonctions de coordination ; il n’est pas directement
intervenu sur antenne mais a abondamment retravaillé les textes des autres. De
cette expérience est né, en 1953, un vade-mecum que la RAI a ensuite joint au
contrat des journalistes qu’elle engageait. Vade-mecum dont on a élégamment
traduit le titre en français par L’art d’écrire pour la radio, alors qu’il était originellement
intitulé Norme per la redazione di un testo radiofonico – Normes pour la rédaction
d’un texte radiophonique.
Ceux qui connaissent la production littéraire de Gadda et son style luxuriant
sont inévitablement étonnés par ce petit traité. Dans la préface à l’édition française
– le texte de l’auteur italien tient sur 22 pages mais la préface qui le précède
en occupe 95 ! –, on peut lire qu’il ne s’agit pas là d’un texte essentiel de Gadda :
c’est
[…] une note de service ou, pire, un mode d’emploi de la machinerie du bien parler.
Les Norme semblent en effet revendiquer la tiédeur, la médiocrité, l’inexpression
conçues comme l’un des Beaux-Arts. […] Gadda sacrifie style, vocabulaire, phrases
impossibles, constructions folles : en un mot, Gadda sacrifie Gadda. Désormais tout
est sécheresse, clarté, efficacité 17 .
Ce constat aux apparences implacables peut toutefois être lu sans connotation
péjorative : Carlo Emilio Gadda avait parfaitement cerné les particularités de l’écriture
radiophonique.
Avant d’être engagé à la RAI, le jeune auteur qu’était Gadda ne connaissait rien
de la radio, si ce n’est en tant qu’auditeur. Et c’est précisément ce point de vue,