La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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VOIES D’ACCÈS HORIZONTALES
LA VOIX DES CONTES
Le concept de péché est lié à un engagement global, dont le contenu reste
latent dans la légende racontée par Antoine de La Sale dans «␣ Le paradis de la
reine Sibylle␣ ». Ce conte, comme d’autres histoires de voyage dans l’au-delà, s’organise
sur un fil horizontal. Pas de descente sur une corde, par un trou ou un
puits, pas de montée pénible et détaillée jusqu’au sommet de l’arbre du monde
ou d’une montagne. Les voyages horizontaux soulignent la pénétration dans un
intérieur aux frontières bien distinctes (une caverne dans le flanc d’une montagne
ou une île), gardées par des peines afflictives.
Un chevalier «␣ des parties d’Alemaigne␣ » osa gravir la montagne et pénétrer
dans la grotte où personne n’avait le courage d’aller, «␣ pour le grant hydeur du
vent, du pont perilleux, du bruit de la riviere et des dragons␣ », auxquels dangers
il faut ajouter le couloir étroit et la porte charybdique battante. Il trouve un monde
de «␣ plaisir sans fin 7 ␣ », où chacun comprend la langue de l’autre. Mais cette paisible
cohabitation antédiluvienne des langues n’est qu’un des signes d’un pouvoir
diabolique.
Un beau jour, brusquement, le chevalier se rend compte de son péché : «␣ Il se
fut advisé d’avoir tant grandement mespris vers son Createur de plusieurs choses
mondaines qu’il avoit faict encontre son vouloir et ses commandemens, et souverainement
du tresorrible pechié ou il vivoit␣ ». Il quitte la grotte, se rend directement
à Rome. Le Pape lui refuse l’absolution, tant il est «␣ courroucié et dolent␣ »
en entendant le grandissime péché 8 . Le chevalier retourne et disparaît à jamais
dans les entrailles de la montagne.
Le vice du chevalier n’est pas d’ordre moral 9 , son péché est la curiosité irréfléchie,
la volonté de connaître. À son entrée, il dit être venu «␣ pour veoir les choses
merveilleuses de ce monde, comme sont estat le requeroit, pour acquerir honneur
et mondaine gloire␣ ». Ce dernier souhait signifie le péché horrible pour les
gens d’ici-bas, qui lui vaut de ne pas être absous : il a fait «␣ plusieurs choses mondaines␣
», il a cherché la futilité des plaisirs, il voulait connaître la vanité de la
volupté, et c’est ainsi qu’il a, en fin de compte, trahi l’engagement, conclu au
moment du baptême, d’appartenir à la communauté des chrétiens.
Dans les légendes relatant des voyages vers l’île ou la grotte de l’éternel bonheur,
le même chemin horizontal est fait trois fois : aller, retour au monde de la réalité
(qu’on retrouve souvent changé par le temps écoulé), et finalement un retour définitif
dans le paradis féerique. Les héros acceptent le hasard 10 qui les mène au monde
des merveilles, où ils sont accueillis royalement et servis comme de grands seigneurs
– ce qu’ils acceptent également. Quand le mal du pays ou l’idée de redevenir
membre de la société chrétienne surgit et les contraint à prendre une décision,
il est trop tard : un serviteur franchissant l’interdiction tactile s’écroule et devient
cendre, car des siècles se sont écoulés, ou bien le pape refuse de prononcer le mot
rédempteur. Le retour dans le monde du réel devient impossible.