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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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L’ENCHÂSSEMENT DES RÉCITS AU XVII e␣ SIÈCLE<br />

<strong>La</strong> <strong>nouvelle</strong> est légitimement un mentir-vrai, que le cadre souligne comme tel.<br />

Segrais fait <strong>de</strong> cette constatation l’ancrage <strong>de</strong> l’examen du genre qu’il propose<br />

tout au long <strong>de</strong>s discussions <strong>de</strong>s nobles <strong>de</strong>visantes. Le cadre, en permettant <strong>aux</strong><br />

<strong>de</strong>visantes <strong>de</strong> juger <strong>de</strong>s récits enchâssés, vali<strong>de</strong> leur irrespect <strong>de</strong> l’histoire, dès lors<br />

qu’il respecte la fiction. Ainsi, à la fin <strong>de</strong> la première <strong>nouvelle</strong>, Géloni<strong>de</strong> et Silerite<br />

proposent <strong>de</strong> modifier le <strong>de</strong>stin du personnage d’Aremberg pour le rendre plus<br />

conforme à leur horizon d’attente. Celui-ci est volontairement confondu avec le<br />

réel connu, comme s’il fallait faire concor<strong>de</strong>r la narration avec l’histoire réelle.<br />

Je serais contente, si plutôt que <strong>de</strong> se faire religieux, il s’allait faire tuer au siège <strong>de</strong><br />

Cambrai, qui fut, ce me semble, la même année, et où il y eut assez d’Allemands tués<br />

pour faire croire qu’il fût du nombre ; et moi ajouta Silerite, il me plairait tout à fait,<br />

s’il était d’une autre nation ; car il me semble qu’un Allemand déguisé en fille est<br />

quelque chose <strong>de</strong> bien extraordinaire 32 .<br />

Or Aurélie, la narratrice et la meneuse du jeu, le rappelle : faire concor<strong>de</strong>r la fiction<br />

avec la chronique doit être un mo<strong>de</strong> d’invention et non pas une conformation<br />

à un vraisemblable commun, moyen. C’est dans une telle perspective qu’il convient<br />

<strong>de</strong> reprendre la définition que Segrais donne <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> à la fin <strong>de</strong> la première<br />

<strong>nouvelle</strong> : dans la mesure où c’est la première définition qui pose la <strong>nouvelle</strong> par<br />

rapport au roman, on la prend sans doute trop pour argent comptant en considérant<br />

qu’elle privilégie le côté «␣ petit fait vrai␣ » <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, et donc une «␣ véracité à<br />

venir␣ » <strong>de</strong> la fiction, sur le merveilleux romanesque en voie d’obsolescence.<br />

Il me semble que c’est la différence qu’il y a entre le roman et la <strong>nouvelle</strong>, que le<br />

roman écrit <strong>de</strong>s choses comme la bienséance le veut et à la manière du poète, mais<br />

que la <strong>nouvelle</strong> doit un peu davantage tenir <strong>de</strong> l’histoire et s’attacher plutôt à donner<br />

les images <strong>de</strong>s choses comme d’ordinaire nous les voyons arriver, que comme notre<br />

imagination se les figure 33 .<br />

Ce que l’on englobe sous le nom <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong> indique simplement un régime<br />

vraisemblable <strong>de</strong> fiction, sans qu’il soit besoin d’opposer un vrai à un fictif. Si la<br />

fable narrative se rapproche <strong>de</strong> l’histoire, il ne s’agit pas <strong>de</strong> créer <strong>de</strong> la pure chronique.<br />

Car l’imagination conteuse refait l’histoire, mais en suivant une logique<br />

interne <strong>de</strong> la fable qui tient moins compte <strong>de</strong>s réels historiques dans leur enchaînement,<br />

que <strong>de</strong>s possibles fictionnels en fonction d’invitations <strong>de</strong> l’histoire. Si la<br />

<strong>nouvelle</strong> se rapproche préférablement <strong>de</strong> l’histoire, c’est parce que l’histoire lui<br />

est désormais intérieure : elle est sa fable. Dès lors, l’histoire est le support non<br />

pas du vrai mais <strong>de</strong> la vérité morale que toute fable doit apporter à ses auditeurs,<br />

ce qui la rend mo<strong>de</strong>lable à loisir. Si la fable <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> n’est plus fabuleuse<br />

comme celle du roman héroïque, en revanche le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> proximité historique<br />

<strong>de</strong>mandé au narrateur ne doit pas faire obstacle au droit à l’imagination, donc à<br />

l’invention, que détient l’auditeur.

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