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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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L’ENCHÂSSEMENT DES RÉCITS AU XVII e␣ SIÈCLE<br />

tion, par <strong>de</strong>s passages d’un premier à un second niveau <strong>de</strong> narration. Une telle<br />

alternance relève <strong>de</strong> la plus élémentaire poétique romanesque. Ce qui permet <strong>de</strong><br />

construire une intrigue élaborée littérairement, c’est la multiplication <strong>de</strong>s récits<br />

dans le récit, qui sert à mieux fixer les étapes <strong>de</strong> la progression romanesque. Comme<br />

l’épopée, un roman doit commencer in medias res, sur le modèle <strong>de</strong>s romans antiques<br />

dont le paradigme reste sans conteste les Éthiopiques d’Héliodore, tandis<br />

que le principe <strong>de</strong>s intrigues secondaires est <strong>de</strong> raconter une «␣ histoire␣ » du début<br />

à la fin, plus brève que la première, et à intrigue unique. L’insertion <strong>de</strong> narrations<br />

secondaires explicatives dans les «␣ trous␣ » <strong>de</strong> la principale introduisent <strong>de</strong>s décalages<br />

pleins d’agrément – la diversitas est la règle <strong>de</strong> la narration fictionnelle bien<br />

entendue, qui emprunte ses règles <strong>de</strong>puis l’Antiquité <strong>aux</strong> traités d’éloquence, et<br />

puise ses exemples chez Homère ou Virgile – et ai<strong>de</strong>nt ce faisant à la juste compréhension<br />

<strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s intervenus dans les ellipses du premier niveau.<br />

Que peut-on lire <strong>de</strong> plus ingénieux que l’Ariane ? Où peut-on trouver <strong>de</strong>s inventions<br />

plus héroïques que dans la Cassandre ? <strong>de</strong>s caractères mieux variés, et <strong>de</strong>s aventures<br />

plus surprenantes que dans la Cléopâtre ? <strong>La</strong> seule histoire du peintre et du musicien,<br />

qui se lit dans l’Illustre Bassa, ne ravit-elle pas, et ne vaut-elle pas seule les plus riches<br />

inventions <strong>de</strong>s autres ? qu’est-ce qu’une personne qui sait le mon<strong>de</strong>, ne doit pas dire<br />

<strong>de</strong> l’admirable variété du Grand Cyrus, <strong>de</strong>s différentes images où chacun peut se<br />

contempler, et <strong>de</strong> ces délectables, et tout à fait instructives conversations qui font<br />

qu’on ne saurait quitter la lecture <strong>de</strong> ce bel ouvrage ? 4<br />

<strong>La</strong> justification d’une telle alternance, qui pourrait pourtant risquer d’altérer<br />

la vraisemblance <strong>de</strong>mandée <strong>de</strong>puis Le Tasse à l’épopée comme au roman, re<strong>nouvelle</strong><br />

les voix et ménage le merveilleux, contraire à l’histoire, mais propre à la<br />

poésie – ou pour le dire dans <strong>de</strong>s termes actuels, à la littérature dans les genres <strong>de</strong><br />

laquelle il s’agit alors d’insérer la fiction narrative en prose, cette exclue <strong>de</strong> la<br />

Poétique d’Aristote, toutes formes (roman ou <strong>nouvelle</strong>) confondues.<br />

Les conséquences sont les suivantes : d’une part, la fiction digne d’attention<br />

présente <strong>de</strong>s récits enchâssés ; ces <strong>de</strong>rniers sont considérés non seulement comme<br />

ornement, mais comme principe nécessaire <strong>de</strong> l’écriture fictionnelle en général.<br />

D’autre part, ces morce<strong>aux</strong> <strong>de</strong> romans sont <strong>de</strong> fait, sinon <strong>de</strong> droit, en parfaite<br />

conformité avec le modèle d’un autre type <strong>de</strong> narration <strong>de</strong> plus en plus prisé<br />

<strong>de</strong>puis l’Heptaméron, les histoires comiques ou tragiques, ces ancêtres <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>.<br />

L’enchâssement sert à connoter fictivement l’un et l’autre régime <strong>de</strong> narration<br />

; ces <strong>de</strong>rniers font du cadre un régime fictionnel plus ou moins vraisemblable,<br />

la multiplication <strong>de</strong>s nuances tendant non pas à valoriser le vraisemblable<br />

sur le merveilleux, mais à mettre l’un en regard <strong>de</strong> l’autre <strong>aux</strong> fins du <strong>de</strong>lectare, la<br />

propre rhétorique <strong>de</strong> la fiction. Voici en quels termes l’un <strong>de</strong>s critiques les plus<br />

conscients <strong>de</strong>s enjeux littéraires qu’il voyait se formuler <strong>de</strong> son temps, Charles<br />

Sorel, évoque ce phénomène :

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