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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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MYRIAM WATTHÉE-DELMOTTE 173<br />

Après Les Diaboliques, Les Célestes… Si on trouve du bleu assez pur… Mais y en a-til<br />

32 ?<br />

Il a, par contre, avec Une histoire sans nom et Une page d’histoire, ajouté <strong>de</strong>ux<br />

pièces sataniques qui s’ajustent parfaitement dans le puzzle commencé. Ce seront<br />

ses <strong>de</strong>rnières créations. Le seul texte long paru dans les <strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong><br />

sa vie n’est en effet qu’une reprise <strong>de</strong> Germaine, la première tentative romanesque<br />

<strong>de</strong> l’écrivain en 1835. Barbey n’avait jamais publié ce livre qu’il estimait «␣ mal<br />

fait␣ », mais qu’il appelait avec tendresse «␣ cette belle au bois dormant, éternelle, et<br />

dans laquelle il y a un tragique horrible 33 ␣ » ; il profita du succès d’Une histoire sans<br />

nom pour trouver un éditeur à la version expurgée et remaniée <strong>de</strong> Germaine, retitrée<br />

Ce qui ne meurt pas : une formule emblématique dont la puissance herméneutique<br />

repose sur un signifiant vi<strong>de</strong>, comme le faisaient déjà Une histoire sans nom,<br />

qui joue sur la privation, et Une page d’histoire, qui connote l’indétermination.<br />

*<br />

Ici […], le conteur s’arrêta. Il n’avait plus besoin <strong>de</strong> se presser. Il nous tenait tous sous<br />

la griffe <strong>de</strong> son récit. Peut-être tout le mérite <strong>de</strong> son histoire était-il dans sa manière<br />

<strong>de</strong> la raconter… 34<br />

Ces quelques phrases tirées du «␣ Dessous <strong>de</strong>s cartes d’une partie <strong>de</strong> whist␣ »<br />

pourraient s’appliquer à l’auteur autant qu’à son personnage : tout l’art <strong>de</strong> Barbey<br />

est dans la narration, qui joue habilement sur la fragmentation et le non-dit.<br />

Car c’est moins le Mal comme figure (stéréotypée, normative) qui retient l’intérêt<br />

<strong>de</strong> l’écrivain que son effet comme forme (fascinante et perverse) <strong>de</strong> la dissimulation,<br />

<strong>de</strong> la privation et du vi<strong>de</strong> ; c’est pourquoi le diable n’apparaît pas personnellement<br />

dans les <strong>nouvelle</strong>s, et ce n’est pas tant l’enfer qui est décrit que les réactions<br />

<strong>de</strong> ceux qui sont amenés à en observer furtivement un recoin.<br />

Analyser l’utilisation <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> dans l’œuvre <strong>de</strong> Barbey, c’est donc retracer<br />

un cheminement qui, si l’on considère la problématique du Mal, évolue vers la<br />

maîtrise. Au début <strong>de</strong> la carrière <strong>de</strong> cet écrivain, qui se sait prosateur et non poète,<br />

la <strong>nouvelle</strong> propose une mise en scène du Mal dans une formule qui reste proche<br />

du conte, et qui marque déjà l’attention portée sur l’effet produit par le discours.<br />

Ensuite, sur le modèle <strong>de</strong>s romanciers contemporains, l’auteur se laisse entraîner<br />

au développement psychologique <strong>de</strong> ses intrigues, et donc à l’écriture romanesque,<br />

mais cela ne s’assortit guère d’une satisfaction réelle <strong>de</strong> sa part. Il cherche<br />

alors à faire court, mais il n’arrive que peu à peu à mettre en œuvre une esthétique<br />

qui correspon<strong>de</strong> précisément à son ambition. Motu proprio, <strong>de</strong> son propre<br />

mouvement, l’écriture aurevillienne va ainsi revenir à la <strong>nouvelle</strong> en combinant<br />

la structure narrative du discours rapporté et le jeu sur le fragment. Tant par la<br />

force <strong>de</strong> frappe <strong>de</strong> chaque texte pris isolément que par les significations tacites<br />

qui émergent <strong>de</strong> l’articulation en recueil, le genre <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong> apparaît donc,

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