La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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NOUVELLE DONNE : TENTATIVE DE DÉFINITION D’UN TERRITOIRE
trice des peurs, des désirs et des aspirations de son temps avant de devenir, pour
certains textes, exemplaire et hors du temps. Si l’on entre dans une librairie, on
aura toutes les chances d’aller à la rencontre d’auteurs confirmés, si l’on glane
lors d’une quelconque foire aux livres, on ramassera l’épi d’or que rien ne laissait
soupçonner sous une enveloppe poussiéreuse ou bien, et c’est souvent le cas, le
texte à compte d’auteur que nul ne connaît, à juste titre.
Où trouver alors «␣ celui que l’on ne connaît pas␣ », autrement que par la lecture
amicale et hasardeuse d’un manuscrit prêté, et sur lequel, de toute façon, on ne
pourra donner un avis clair par peur de blesser ? Pour son lectorat, la revue peut
alors devenir cette frontière-passerelle, ce Gibraltar de la nouvelle entre les auteurs
confirmés, souvent assimilés aux romanciers, et l’inconnu inévitablement affublé
de l’adjectif «␣ obscur␣ ».
Quelles sont les garanties qu’offre la lecture d’une revue, quels sont aussi les
engagements qu’elle exige de ses lecteurs ? Le travail que réalise, en amont de la
publication, le comité de lecture, permet d’effectuer un défrichage qui, si l’on
reprend la piste de l’exploration, évite au lecteur les bourbiers de certains textes
aux fantasmes poussifs, les couchers de soleil sur cartes postales géantes ou les
cris de solitude dignes des rubriques de petites annonces. Si, au proverbe «␣ Il faut
de tout pour faire un monde␣ », on a plutôt envie de rétorquer «␣ non, mais il faut
un monde varié␣ », on pourrait, au plan de la nouvelle, affirmer que «␣ tout n’est
pas à lire, mais que l’éventail est large␣ ». Ainsi à Nouvelle Donne, notre choix estil
à la fois éclectique et exigeant. Il réclame la qualité de l’écriture, l’authenticité
d’un style et non la simple habileté technicienne à fabriquer une nouvelle avec
chute adéquate.
Tout ce qui vient d’être dit sur les liens que peut tisser la revue avec son lectorat
peut à la fois se réfracter sur les rapports entre revue et auteurs et prendre
aussi, parfois, un éclairage nouveau. À la manière d’Hoffmann qui fait parler le
chat Murr de son maître, on pourrait faire sortir des manuscrits de bien des rayons
et leur demander par quels moments de déception et de découragement sont
trop souvent passés leurs créateurs. Est-il assez clair qu’en France le passeport de
nouvelliste autochtone est des plus mal considérés ; et que c’est assurément le
seul domaine où un passeport étranger, à condition d’être pourvu d’une bonne
traduction, aura plus de chances d’être accepté au bureau des douanes de l’édition.
Qui ne s’est vu répondre : «␣ Pas mal, vos nouvelles, mais… faites d’abord un
roman et après, on pourra les passer␣ ». Un peu comme si, à une frontière, on
montrait le service de table brodé pour mieux cacher le bijou ancien et travaillé.
Mais si l’on persiste et signe et que l’on veuille avant tout, ou seulement, publier
des nouvelles ? À moins d’une chance très rare, il n’y a guère que le concours ou
la revue qui permettent à un auteur d’émerger. Le concours n’est pas sans difficultés
et le colloque précédent en faisait état. La multiplication de ces manifestations
n’est pas négative en soi, mais très souvent, à nos yeux, elle inscrit le nouvelliste
dans une thématique imposée, elle le fait écrire à la commande, ce qui