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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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LA NOUVELLE COMME ESTHÉTIQUE DU SILENCE<br />

mobiles au meurtre, creuse un puits sans fond par où s’engouffrent les images<br />

d’un moi inaccessible.<br />

Dans l’une et l’autre œuvres le récit supprime délibérément les raccords, dans<br />

la droite ligne <strong>de</strong> ce cinéma d’auteur qui, avec Resnais et Godard, ou le Bergman<br />

<strong>de</strong>s Fraises sauvages, procè<strong>de</strong> par brisures, par recours systématique <strong>aux</strong> fondusenchaînés,<br />

<strong>aux</strong> voix hors champ qui disent ce que l’image se gar<strong>de</strong> bien <strong>de</strong> montrer<br />

6 . Le montage <strong>de</strong> l’aventure rimbaldienne <strong>de</strong> Pierrot le fou consiste en une<br />

succession <strong>de</strong> plans fixes et <strong>de</strong> travellings latér<strong>aux</strong> qu’aucune cohérence n’unit,<br />

sinon la dynamique d’une course à la mort ponctuée par <strong>de</strong>s citations d’Une saison<br />

en enfer. Quant à L’année <strong>de</strong>rnière à Marienbad, on sait quel bouleversement le<br />

film introduisit dans le cinéma mondial, bouleversement dont on peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

s’il ne tient pas à une scansion <strong>nouvelle</strong> du récit, fondée sur les syncopes,<br />

les points <strong>de</strong> suspension au terme <strong>de</strong> chaque plan, et à cette voix incantatoire <strong>de</strong><br />

Sacha Pitoëff qui veut nier les silences <strong>de</strong> Delphine Seyrig, alors qu’il ne peut<br />

opposer à ces silences que les interrogations d’un passé à jamais embrumé.<br />

Art du hors-texte, du hors-cadre, art <strong>de</strong> la vacance, œuvres rythmées par ce<br />

qu’on tait et non par ce qu’on dit, plus riches <strong>de</strong> leurs ambiguïtés que <strong>de</strong> claires<br />

évi<strong>de</strong>nces, cet art, au fond, n’est-il pas celui dans lequel Vermeer a excellé ? Qu’on<br />

songe à L’astronome ou à <strong>La</strong> <strong>de</strong>ntellière, ces table<strong>aux</strong> au petit format saisissant <strong>de</strong>s<br />

personnages dans l’intimité <strong>de</strong> leur vie quotidienne, inscrivant leur action souvent<br />

prosaïque dans un espace dont on perçoit immédiatement qu’il n’est que la<br />

porte ouverte sur un au-<strong>de</strong>là insaisissable, fascinant, mais <strong>de</strong>viné, mystérieux,<br />

mais prometteur d’un «␣ tra-mon<strong>de</strong>␣ » que scrute le personnage ou qui vient le<br />

nimber. Comme dans les table<strong>aux</strong> <strong>de</strong> Vermeer la lumière vient toujours <strong>de</strong> la<br />

gauche pour pénétrer dans un bureau ou une salle commune, cette transgression<br />

<strong>de</strong>s limites <strong>de</strong> la toile par une clarté quasi surnaturelle, révélatrice d’un mon<strong>de</strong> à<br />

la fois réel et utopique, n’est-ce pas l’esprit d’un certain nombre <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s,<br />

enclines à suggérer <strong>de</strong>s espaces intérieurs, et à ménager, par les pauses du récit,<br />

<strong>de</strong>s lieux d’ambivalence et <strong>de</strong> rêverie ? Dans la peinture <strong>de</strong> Vermeer comme dans<br />

les <strong>nouvelle</strong>s d’Arland, <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Puja<strong>de</strong>-Renaud ou <strong>de</strong> Jean-Loup Trassard, l’au<strong>de</strong>là<br />

transcen<strong>de</strong> la représentation du réel, fenêtre ouverte sur un mon<strong>de</strong> aussi<br />

parlant que sibyllin. Nous ignorons si la <strong>de</strong>ntellière pense à quelque chose ou si<br />

l’astronome veut englober la totalité du mon<strong>de</strong> sensible, mais nous sommes attirés<br />

par ce regard tourné vers le <strong>de</strong>dans, par la porosité entre l’instantané du tableau<br />

et la présence <strong>de</strong> cette aura qui baigne la peinture <strong>de</strong> Vermeer dans l’univers<br />

diaphane <strong>de</strong>s révélations.<br />

Dotés à l’origine d’un fort coefficient <strong>de</strong> réalité, roman, cinéma et peinture<br />

ten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> plus en plus à s’affranchir <strong>de</strong>s contraintes <strong>de</strong> la vérité pour fécon<strong>de</strong>r<br />

une œuvre <strong>de</strong> la suggestion, <strong>de</strong>s allusions réitérées, puisque le créateur accor<strong>de</strong><br />

désormais la primauté <strong>aux</strong> intermittences du vécu et à tout ce qui exprime, sans<br />

le formuler, ce que le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s hommes recèle d’impénétrable.<br />

Personnages fantomatiques ou transitoires 7 , narration qui tend vers<br />

«␣ l’alittérature␣ » chère à Clau<strong>de</strong> Mauriac, espace textuel généré par d’autres mo-

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