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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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RÉGIS DUQUÉ 373<br />

<strong>La</strong> présence souvent très forte d’un narrateur à la première personne, dans la<br />

<strong>nouvelle</strong>, permet à l’acteur <strong>de</strong> représenter, justement, d’incarner, <strong>de</strong> prendre en<br />

charge pleinement la parole du personnage <strong>de</strong> chair et <strong>de</strong> sang qui se <strong>de</strong>ssine<br />

<strong>de</strong>rrière la voix narrative.<br />

Le jeu <strong>de</strong>s adresses et <strong>de</strong>s interpellations fréquentes permet <strong>de</strong> jouer sur la<br />

question essentielle du <strong>de</strong>stinataire, la parole théâtrale étant une parole adressée,<br />

toujours en quête du <strong>de</strong>stinataire prêt à la recevoir : un personnage présent ou<br />

absent <strong>de</strong> la scène, quand ce n’est pas directement le spectateur, <strong>de</strong>stinataire final,<br />

quoi qu’il arrive, <strong>de</strong> la parole théâtrale. « Qui parle à qui quand je (tu, il)<br />

parle(s) tout seul ? », se <strong>de</strong>mandait très justement Anne-Françoise Benhamou<br />

dans un très bel article consacré au monologue <strong>de</strong> théâtre.<br />

Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve ces caractéristiques dans les cinq <strong>nouvelle</strong>s<br />

<strong>de</strong> Vincent Engel choisies par le Patchthéâtre pour le spectacle Nous sommes<br />

tous <strong>de</strong>s faits divers. Dans la bouche <strong>de</strong> l’acteur Michel Poncelet, chacune <strong>de</strong>s<br />

<strong>nouvelle</strong>s portées à la scène <strong>de</strong>venait fort proche <strong>de</strong> ces pièces monologuées dont<br />

on a dit qu’elles pouvaient présenter <strong>de</strong>s parentés avec la <strong>nouvelle</strong>. En mettant<br />

côte à côte le début du « Messie » <strong>de</strong> Vincent Engel et le début d’un <strong>de</strong>s six<br />

monologues <strong>de</strong> Chambres <strong>de</strong> Philippe Minyana, nous leur trouvons aisément<br />

comme un air <strong>de</strong> famille.<br />

Ce soir, tête lour<strong>de</strong>, et mon eczéma sur l’épaule me fait <strong>de</strong>s misères. Je rentre <strong>de</strong> ce<br />

cercle, près <strong>de</strong> chez moi, où je vais tous les vendredis soirs, parce qu’il y a du mon<strong>de</strong>,<br />

<strong>de</strong>s verres abandonnés qu’on me laisse achever. De temps en temps, je trouve une<br />

assiette encore bien garnie. Et puis, il y a toujours quelqu’un pour m’offrir une bière,<br />

ou du vin, ou un morceau <strong>de</strong> pain. À part ça, ils me laissent tranquille, et moi <strong>de</strong><br />

même. Ce soir, il y avait trop <strong>de</strong> verres à finir. Mais j’ai réussi à ne pas salir ma belle<br />

chemise blanche, que je mets toutes les semaines pour aller au cercle. Trop <strong>de</strong> verres<br />

à finir. Mal <strong>de</strong> tête. Il y avait aussi une conférence. Je n’ai pas tout écouté. Ils <strong>de</strong>vraient<br />

m’inviter à parler, je pourrais également raconter <strong>de</strong>s choses intéressantes.<br />

Trop mal <strong>de</strong> tête. <strong>La</strong> bière ne <strong>de</strong>vait pas être bonne 6 .<br />

À un moment ça a débordé c’est tout ils me reprochaient son développement psychomoteur<br />

Kiki ils me reprochaient son développement psychomoteur et mon enfance<br />

à moi ! Ils ont voulu tout savoir sur mon enfance eh bien je leur ai dit : vous<br />

voulez savoir comment c’était ?<br />

Qu’est-ce que ça peut leur foutre qu’est-ce que tu voulais que je leur dise à eux une<br />

ferme dans le Jura pas <strong>de</strong> souvenirs l’horreur ça a dû être l’horreur mais c’est flou.<br />

Flou. Ils m’ont dit : le Jura c’est vert il y a <strong>de</strong>s vaches ! Je leur ai foutu un pot <strong>de</strong><br />

moutar<strong>de</strong> à travers la gueule et à la maison familiale <strong>de</strong> Soch<strong>aux</strong> tu leur parles <strong>de</strong> moi<br />

ils te parlent <strong>de</strong>s pots <strong>de</strong> moutar<strong>de</strong> 7 !<br />

Qui parle ? À qui parle-t-on ? Et <strong>de</strong> qui ou <strong>de</strong> quoi parle-t-on ? D’emblée,<br />

l’entrée en matière <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux textes ne nous fournit les informations que <strong>de</strong><br />

manière distillée, en creux, et toujours <strong>de</strong> manière incomplète. Aussi, plutôt que

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