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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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UN UNIVERS DE LA DIFFRACTION␣ : ANDRÉE MAILLET<br />

Avant et pendant ce qu’il est convenu d’appeler la Révolution tranquille québécoise<br />

(la pério<strong>de</strong> 1960-1968), Andrée Maillet compte parmi ces écrivains qui se<br />

sont acharnés à l’écriture dans <strong>de</strong> multiples directions, comme si ses textes prenaient<br />

justement la forme <strong>de</strong> miroirs brisés où viennent se réfléchir les aspects les<br />

plus divers <strong>de</strong> la psyché individuelle et collective. Son œuvre entière s’inscrit<br />

sous le signe <strong>de</strong> la diffraction scripturaire. Je dirais que, à travers ce processus, elle<br />

a constamment cherché à définir indirectement et comme par diffraction – par la<br />

ban<strong>de</strong> – sa propre i<strong>de</strong>ntité et celle <strong>de</strong> son groupe social, celui qui était alors en<br />

gestation dans le Québec <strong>de</strong>s années 1950 à 1970. Comme elle évoluait dans une<br />

société en profon<strong>de</strong> mutation, Andrée Maillet, avec une vive conscience du processus<br />

<strong>de</strong> transformation du Québec, refusait elle-même <strong>de</strong> se plier <strong>aux</strong> canons <strong>de</strong><br />

la tradition, qu’elle soit narrative, poétique, essayistique ou dramatique, car les<br />

canons ne parvenaient pas à dire ce qu’elle voulait faire passer. Elle préférait pour<br />

ainsi dire les libertés <strong>de</strong> la diction narrative, à l’instar <strong>de</strong> sa société qui commençait<br />

à prendre ses libertés vis-à-vis d’une tradition culturelle déjà séculaire.<br />

Jean Éthier-Blais souligne à ce sujet qu’«␣ [e]lle n’a pas su s’astreindre à la ligne<br />

droite du roman, <strong>de</strong> la poésie, d’un registre dominant. Elle a aimé les routes vicinales<br />

<strong>de</strong> l’écriture, ce qui explique le morcellement, mais aussi le pétillement<br />

vivace <strong>de</strong> son œuvre 6 ␣ ». J’ajouterais : ce qui explique la pertinence et la valeur <strong>de</strong><br />

son œuvre. Elle publie ainsi <strong>de</strong> nombreuses <strong>nouvelle</strong>s <strong>aux</strong> formes toujours très<br />

libres, et, pour donner quelques exemples <strong>de</strong> non-conformité <strong>aux</strong> canons, un<br />

essai-poème, Le paradigme <strong>de</strong> l’idole 7 , et un roman, Le doux mal 8 , ne comportant<br />

pratiquement que du dialogue ; elle adaptera d’ailleurs ce roman pour le théâtre.<br />

D’une <strong>de</strong> ses <strong>nouvelle</strong>s, «␣ Récit en accords brisés␣ » (Le len<strong>de</strong>main n’est pas sans<br />

amour, 1964), à la forme également presque strictement dialoguée, elle tirera également<br />

une pièce <strong>de</strong> théâtre pour la télévision, Souvenirs en accords brisés (1966).<br />

Soulignons par ailleurs que les textes du recueil intitulé Le len<strong>de</strong>main n’est pas<br />

sans amour 9 reçoivent l’appellation «␣ contes et récits␣ » en page <strong>de</strong> titre, mais que<br />

ce sont en fait <strong>de</strong>s <strong>nouvelle</strong>s tantôt fantastiques, tantôt magiques ou étranges,<br />

tantôt parfaitement réalistes.<br />

Lorsqu’on abor<strong>de</strong> l’œuvre d’Andrée Maillet, on s’aperçoit donc qu’elle est polymorphe<br />

et que les discours qui la composent traversent allègrement tous les<br />

genres et bien <strong>de</strong>s sous-genres. Mais je dirais que sa propension à l’atomisation, à<br />

la diffraction et à la fragmentation du discours, <strong>de</strong> même qu’<strong>aux</strong> interférences<br />

génériques, nous indique que la <strong>nouvelle</strong> est son genre <strong>de</strong> prédilection. Je serais<br />

tenté <strong>de</strong> dire que la liberté qu’offre le discours nouvellier lui permet, par ricochet,<br />

<strong>de</strong> pratiquer également le genre qui semblait la tenter le plus, l’essai, en ce sens<br />

où ses <strong>nouvelle</strong>s sont comme <strong>de</strong>s lieux où les personnages sont convoqués pour<br />

discuter <strong>de</strong> tout et <strong>de</strong> rien (et surtout <strong>de</strong> tout). Femme engagée dans son siècle<br />

(elle a été journaliste et a dirigé la revue Amérique <strong>française</strong>), elle a servi la littérature<br />

en se servant entre autres <strong>de</strong> la <strong>nouvelle</strong>, ou plutôt du principe <strong>de</strong> liberté qui<br />

est inscrit au cœur <strong>de</strong> la forme nouvellistique, à <strong>de</strong>s fins esthétiques et sociales.

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