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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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GABRIEL PÉROUSE 41<br />

vis/<strong>de</strong>viser␣ » (mais le fait que «␣ <strong>de</strong>viser␣ » n’est pas transitif en limite l’usage) et<br />

«␣ histoire␣ » (mais la tendance <strong>de</strong> la <strong>langue</strong> semble avoir été d’éviter ce terme dans<br />

les intitulés sauf pour les narrations déjà mises en forme ; ailleurs, c’est le substitut<br />

le plus courant du mot «␣ conte␣ » ou du mot «␣ aventure␣ », lorsqu’on ne veut<br />

pas répéter ceux-ci 2 ).<br />

Tout au long du XVI e siècle, «␣ conte␣ » (ou «␣ compte␣ ») gar <strong>de</strong> cette suprématie,<br />

cette valeur hyperonymique, désignant toute sorte <strong>de</strong> récit. Vers 1505, Philippe<br />

<strong>de</strong> Vigneulles, en italianisant qu’il est, risque bien le mot «␣ <strong>nouvelle</strong>s␣ » pour intituler<br />

sa collection, mais il s’empresse <strong>de</strong> gloser ce titre en ajoutant : «␣ ou contes<br />

joyeux 3 ␣ ». Vers 1545, Marguerite <strong>de</strong> Navarre, qui a annoncé très officiellement<br />

<strong>de</strong>s «␣ <strong>nouvelle</strong>s␣ », les désigne spontanément comme <strong>de</strong>s «␣ contes␣ » dans les conversations<br />

familières qui précè<strong>de</strong>nt ou suivent les récits, et cela quelle que soit la<br />

nature <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers (longs ou brefs, tragiques ou récréatifs : ainsi les <strong>nouvelle</strong>s<br />

X et XI pourtant si différentes 4 ) ; du reste, en 1555, le mystérieux A.D.S.D. intitulera<br />

Comptes du mon<strong>de</strong> adventureux un recueil <strong>de</strong> <strong>nouvelle</strong>s parfois très proches <strong>de</strong><br />

celles <strong>de</strong> la reine. Et, à la fin du siècle, lorsque Du Fail ou Montaigne voudront<br />

parler <strong>de</strong>s morce<strong>aux</strong> narratifs inclus dans leurs «␣ discours␣ », ils les appelleront<br />

leurs «␣ comptes 5 ␣ ». Il ne semble pas utile d’alléguer les dizaines d’exemples qui<br />

viendraient confirmer cette valeur très générale du mot, apte à désigner toute<br />

espèce <strong>de</strong> narration. En d’autres termes, le conte peut se définir comme «␣ ce que<br />

conte le conteur␣ » (c’est-à-dire <strong>de</strong>s choses très diverses), le personnage et la fonction<br />

du conteur étant la réalité <strong>de</strong> base dans une société où les loisirs sont or<strong>aux</strong>.<br />

Les recueils imprimés continueront longtemps à mimer la situation d’écoute<br />

(«␣ vous orrez…␣ »), notamment au cours d’une veillée : voyez encore, tout à la fin<br />

du siècle, les Escraignes dijonnoises <strong>de</strong> Tabourot <strong>de</strong>s Accords 6 .<br />

Si, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette dénotation fondamentale du terme, on tente d’analyser ses<br />

connotations, il apparaît d’abord que «␣ conter␣ » égale le plus souvent «␣ raconter␣<br />

». Le conte préexiste dans la tradition, et le conteur ne l’invente pas, mais le<br />

transmet, le retransmet («␣ Je connais un conte…␣ »), cette vocation à être répété<br />

étant <strong>de</strong> l’essence même du conte. D’autre part, l’action <strong>de</strong> conter étant un acte<br />

social, visant à récréer les membres du groupe et éventuellement à les instruire<br />

(toute aventure peut avoir un «␣ sens moral␣ »), cette finalité autorise – voire oblige<br />

– le conteur à mettre en forme, à enjoliver par ses paroles le schéma reçu <strong>de</strong> la<br />

tradition, ce que certains conteurs réussissent mieux que d’autres : car la «␣ vérité␣<br />

» qui importe n’est pas celle <strong>de</strong>s faits, mais celle du sens. D’où la connotation<br />

<strong>de</strong> fictivité, et même <strong>de</strong> vieux et joyeux mensonge, qui s’attache à ce terme («␣ À<br />

beau mentir qui vient <strong>de</strong> loin␣ »). Significativement, on dit «␣ faire un conte␣ »… Et<br />

le verbe «␣ conter␣ », si usuel qu’il fonctionne presque comme un équivalent du<br />

verbe «␣ dire␣ » («␣ Qu’est-ce que tu nous contes là ?␣ »), se distingue justement <strong>de</strong><br />

celui-ci par cette connotation d’invraisemblance ou <strong>de</strong> fantaisie : un bon chrétien<br />

«␣ dit␣ » la vérité ; celui qui «␣ conte␣ » prend <strong>de</strong>s libertés avec elle. Enfin, le mot

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