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La nouvelle de langue française, aux frontières des ... - L'esprit Livre

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JEAN-PHILIPPE IMBERT 325<br />

<strong>de</strong> vue structurel, consiste en un ensemble <strong>de</strong> textes qui restent indissociables<br />

d’un contexte très daté, où l’on retrouve l’écho <strong>de</strong> principes esthétiques, <strong>de</strong> préjugés<br />

religieux et <strong>de</strong> choix politiques qui furent ceux d’un XVIII e siècle déclinant.<br />

«␣ Ce sont <strong>de</strong>s peurs et <strong>de</strong>s fantasmes d’une nation à un moment précis <strong>de</strong> son<br />

histoire 13␣ ». Même en prenant en compte la radicale dérive sémantique qui a<br />

permis <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> gothique non anglais, même en prenant en compte le fait<br />

que la production kristovienne est aussi témoignage et accusation d’une fin <strong>de</strong><br />

siècle bouleversée, l’œuvre <strong>de</strong> Kristof n’est que très peu en rapport avec ce qui est<br />

le seul gothique, celui <strong>de</strong>s années 1764-1824. Par contre, elle tend vers le gothique<br />

dans le sens où elle tente <strong>de</strong> dire l’Autre Chose, la précarité, l’abîme et le<br />

manque. <strong>La</strong> nature protéenne du monstrueux représentée dans ses ouvrages illustre<br />

la réalité gothique qu’est la vie, perçue sous l’angle <strong>de</strong> cet Autre Chose qui<br />

l’habite. Elle tente <strong>de</strong> nous faire prendre conscience du chaos moral qui pèse sur<br />

le mon<strong>de</strong>, où seul le pouvoir a du sens, et où les mots n’en ont pas. Si le gothique<br />

est illustration du non-sens en même temps qu’aspiration à un autre sens, traduit<br />

par une douloureuse jouissance <strong>de</strong> l’écrit et un lancinant besoin <strong>de</strong> dire l’horreur,<br />

alors ces trois livres ont <strong>de</strong>s relents <strong>de</strong> gothique, mais d’un gothique qui ne peut<br />

être atteint que par un moyen précis, celui du travail <strong>de</strong> la rétention langagière et<br />

<strong>de</strong> la jouissance naissant <strong>de</strong> l’incapacité à dire.<br />

Ces micro-récits/contes témoignent effectivement du monstrueux <strong>de</strong> l’humanité<br />

dans le sens où ils vacillent au bord du gouffre, et tentent <strong>de</strong> dire une impossibilité<br />

à se placer dans une catégorie générique et littéraire donnée. Ce travail <strong>de</strong><br />

la tension, <strong>de</strong> l’écart instauré entre <strong>nouvelle</strong>, récit et conte, est ainsi le moteur <strong>de</strong><br />

l’écriture d’Agota Kristof, mais surtout le générateur <strong>de</strong>s monstres et du monstrueux<br />

dans une création qui va travailler la déchirure.<br />

LE RÉCIT MUTILÉ<br />

Nous allons maintenant voir à quel genre <strong>de</strong> monstres et <strong>de</strong> monstrueux nous<br />

avons affaire, afin <strong>de</strong> réaliser d’une part que ces monstres ne sont pas simplement<br />

là en tant que présence virtuelle, et d’autre part que le monstrueux est<br />

d’abord ce sang noir qui s’égoutte <strong>de</strong> la plume d’Agota Kristof et abreuve sa production.<br />

Nous verrons enfin comment cette écriture plie sous la tentation du<br />

dépassement, monstres et monstrueux générant l’ouverture d’une béance sur le<br />

néant, pour rejoindre les visées <strong>de</strong> la création littéraire <strong>de</strong> notre siècle finissant.<br />

Si les monstres classiques ont toujours été lus comme représentants esthétiques<br />

<strong>de</strong> l’impossible ou <strong>de</strong> l’insituable, Agota Kristof travaille la polyvalence <strong>de</strong><br />

leur réalité, pour nous montrer que ces monstres sont toujours signes d’autre<br />

chose, donnant à voir un autre qui n’est qu’un inavouable soi. Les monstres <strong>de</strong><br />

Kristof définissent en fait la présence <strong>de</strong> l’absence, la quasi- tangibilité <strong>de</strong> l’amertume<br />

issue d’un exil forcé, naissant <strong>de</strong> l’angoisse et la suscitant car ils donnent à<br />

voir tout ce qui est inarticulable.

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